2014-08-22 16:53:00

L'Etat Islamique : "des nihilistes et des destructeurs"


(RV) Entretien - Les massacres et exactions de l’Etat islamique, relayés par une propagande bien huilée, continuent de susciter l’effroi et l’horreur. Les moyens dont il dispose et la barbarie dont il fait montre, en font actuellement l’organisation terroriste la plus dangereuse au monde. Yézidis et chrétiens ont fui par milliers devant la progression fulgurante des jihadistes, et se sont réfugiés, pour beaucoup, au Kurdistan irakien.

Sébastien de Courtois, journaliste indépendant, est spécialiste des minorités chrétiennes d’Orient. Il revient d’Irak, notamment du Kurdistan, où il a pu rencontrer ces réfugiés yézidis et chrétiens. Il témoigne de la situation de ces milliers de familles, traumatisées, terrifiées et démunies, qui n’imaginent pas rentrer chez elles sans protection internationale. Un entretien réalisé par Manuella Afejee. 

 

 

 

Les yézidis sont des gens qui ont besoin de parler, de s’exprimer, parce qu’ils sont un peu moins écoutés que les autres communautés comme les chrétiens. Il n’y a pas vraiment de yézidis dans la diaspora, ni d’organisation humanitaire qui s’occupent d’eux. Ces gens-là racontent la marche épouvantable qu’ils ont faite au milieu du désert depuis les massifs du Sindjar au Sud, jusqu’au nord de l’Irak. Souvent deux, trois, quatre jours de marche. Certains ont eu la chance d’être exfiltrés par des combattants kurdes du PID, qui est l’équivalent syrien du PKK. Ce sont des combattants kurdes qui ont pris l’initiative d’aller sauver ces gens-là. Les récits de massacres, les récits de tueries, sont très, très difficile à entendre.

Et qu’en est-il des minorités chrétiennes ? Est-ce que vous avez pu les rencontrer ?

Des dizaines de milliers de chrétiens ont été obligés de quitter d’abord Mossoul, au milieu du mois de Juin, et surtout au début du mois d’Août, après la chute et la prise de Qaraqosh, cette grande ville chrétienne, le matin du 8 août. Tous ces gens-là sont partis. Ils ont quitté les villages de la plaine de Ninive et sont allés, dans l’urgence, d’abord à Duhok, qui est la ville la plus proche au Nord, et surtout à Erbil, où tous s’accumulent dans le grand quartier chrétien appelé Ainkawa ; ici, il y a d’ailleurs une statue qui a été dédiée à la Vierge le 15 Août, en présence du Patriarche des chaldéens Mgr Sako : une très grande statue, assez belle, qui est à l’entrée du quartier. Les gens s’installent donc partout où ils peuvent, dans des camps ou des chantiers en construction. Toutes les écoles de la communauté chrétienne sont occupées, et des camps sont organisés peu à peu sur les terrains appartenant aux différentes églises. Les conditions sont là aussi très, très dures car les gens sont partis en moins d’une heure parfois ; ils ont dû rassembler leurs affaires, et n’ont pratiquement rien pris pour ce long voyage.

Quel est l’état d’esprit des Kurdes à l’égard de ces réfugiés ?

Les kurdes font déjà un gros travail, car ils accueillent des centaines de milliers de syriens depuis toutes ces années de guerre. Maintenant, devant ce nombre important de chrétiens et de yézidis, ils font comme ils peuvent. Il y a parfois des camps, mais parfois il n’y a rien. Le Cardinal Filoni qui était à Erbil la semaine dernière a déclaré cette chose importante : « Ce n’est pas tout de recevoir, encore faut-il recevoir chaleureusement. C’est-à-dire que ces gens se sentent les bienvenus. » Sur ce point,  c’est vrai qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, parce que la société kurde est un peu refermée sur elle-même. Et puis ce sont des gens qui mènent une guerre : il y a donc le front extérieur, qui est le front de la guerre contre les forces de l’Etat Islamique, et le front intérieur, qui est celui de l’accueil et disons du bien-être, sinon de la survie, de tous ces milliers de réfugiés.

Est-ce que malgré tout ce qui s’est passé, malgré tout ce qu’ils ont dû affronter, ces réfugiés chrétiens et yézidis ont quelque espoir de rentrer chez eux ? En ont-ils l’envie, d’abord ?

C’est la grande question du retour. Dans les premiers jours, j’ai recueillis des témoignages en parlant avec les gens, et il y avait une peur panique dans leur regard… surtout du côté de la frontière turque, où sont plutôt les yézidis. Ils  veulent partir à tout prix. Lors des manifestations plus ou moins spontanées qui se tiennent dès qu’il y a des journalistes, on entend : « Halte au génocide ! Nous ne voulons plus être des esclaves ! Aidez-nous à quitter l’Irak ! » C’est vrai qu’une fracture, une rupture très importante, s’est faite des deux côtés, yézidi et chrétien. Car ce qui s’est passé, et ce sont les témoignages qui nous ont été rapportés, c’est que les forces islamistes ont profité de soutiens locaux. Il y a des villes et des villages sunnites qui ont pratiquement ouvert leurs portes aux forces islamistes, il y a eu des comportements de voisinage qui n’ont pas été «  fabuleusement impressionnants », disons. Les chrétiens surtout ont le sentiment qu’ils n’ont vraiment plus leur place dans la société irakienne. Ils demandent une protection internationale ; ce serait la seule condition pour leur retour dans ces régions-là. Certains parlent d’une région autonome qui pourrait être créée pour les chrétiens et pour les yézidis , pour toutes les communautés non-sunnites dans cette région-là de l’Irak, mais sous protection internationale. Mais actuellement, les gens ne veulent pas retourner dans leur village, la peur est toujours là ; ils se tourne évidemment vers les consulats européens, dans l’idée de partir à l’étranger le plus vite possible.

Selon le Pentagone, l’Etat Islamique surpasse toute autre menace terroriste à l’heure actuelle. Est-ce une analyse que vous partagez ?

Je ne sais pas si je peux aller jusque-là, car il faut savoir de quoi on parle et avec quoi on peut le comparer. Mais c’est certain que ces gens-là dépassent en monstruosité, en cruauté, tout ce qui a été fait au Proche-Orient depuis bien longtemps. Des exécutions massives, des enfants supprimés, des femmes enceintes systématiquement massacrées… il faut lire le récit du massacre de Kocho et d’autres villages yézidis, c’est la conversion ou la mort . Parfois on ne propose même pas la conversion, c’est la mort systématiquement. C’est une organisation qui n’est pas simplement terroriste, c’est une organisation criminelle. Ce sont des gens qui sont, me semble-t-il, hors de la vie, hors du sens commun. C’est ça qui fait peur d’ailleurs, donc c’est pour ça qu’il y a une espèce d’union sacrée en ce moment : on voit les américains discuter avec les iraniens, avec les chiites, avec les kurdes aussi, pour préserver cette tendance. C’est certain que tout le monde en a peur. Ils ont quand même réussi à créer l’union des kurdes , c’est-à-dire les kurdes irakiens et les kurdes turcs, contre eux. Historiquement, c’est la première fois que ça se passe.

Alors que faire pour les arrêter ? L’intervention militaire doit-elle être préconisée selon vous ? Si oui, sous quelles conditions, et est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard ?

L’intervention militaire a déjà commencé, il faut arrêter de se raconter des histoires. Les missiles envoyés du ciel, on les voit d’ailleurs, et on les entend. A Alqosh, quand j’étais sur la hauteur, on entendait les avions et on voyait très bien les impacts, à une dizaine, une quinzaine de kilomètres, ce qui veut dire qu’il y a déjà des troupes au sol pour guider ces missiles. Donc l’intervention militaire a déjà commencé. Je pense qu’il faut continuer, mais là c’est une affaire de géopolitique et d’équilibres régionaux, bien évidemment. Il faut aussi se poser la question suivante : « Qui a armé les forces de cet Etat Islamique ? » La Turquie est peut-être elle aussi responsable, car tous ces djihadistes dont on parle en Europe, ils arrivent bien par quelque part. J’ai entendu ce matin que 360 français, citoyens français, sont engagés dans cette guerre. Il faut d’abord leur dire qu’ils vont là-bas pour tuer des musulmans, c’est très clair. Il faut savoir ce dont on parle lorsqu’on évoque le djihad. Et je crois qu’il faut enlever la religion de ce débat, parce qu’ aucun musulman ne  peut se retrouver dans le combat de cet Etat Islamique. Ce n’est ni un Etat, ni un Etat Islamique, cela n’a rien à voir avec l’Islam. On est au-delà du monothéisme, au-delà de la religion ; c’est une sorte de mouvement révolutionnaire qui détruit le passé, qui détruit aussi le patrimoine. Il y a du nihilisme derrière tout cela : les mosquées sont systématiquement détruites par les forces de l’Etat Islamique, parce que ce ne sont pas des mosquées qui leur correspondent. A Mossoul, la tombe du prophète Jonas, qui est une tombe qui rassemble justement tous les monothéismes, a été détruite. Ce sont des destructeurs. Donc à partir de là, tous les moyens sont bons, évidemment, pour les arrêter.








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