2014-09-01 16:37:00

État islamique : « des instances musulmanes doivent prendre position »


(RV) Entretien- L’Etat islamique continue de semer la terreur en Syrie et en Irak, où ils rencontrent toutefois la résistance de l’armée gouvernementale, épaulée par des milices chiites, les combattants Kurdes et l’aviation américaine.

Devant la menace que représentent les jihadistes pour le Moyen-Orient et le monde, les patriarches et chefs des Eglises orientales élèvent la voix. Réunis à Bkerké le 27 août, ils avaient solennellement enjoint la communauté internationale à « éradiquer » l’Etat islamique et les groupes fondamentalistes, dont ils ont dénoncé par ailleurs les crimes et exactions barbares commis à l’encontre des populations civiles.

Parmi ces patriarches, le cardinal Béchara Raï, Patriarche d’Antioche des Maronites. Il était de passage à Rome ces jours-ci, où nous l'avons rencontré. C'est un appel pressant qu'il lance à la communauté internationale, celui de ne pas rester silencieuse ou passive devant le drame qui se joue au Moyen-Orient. Mais il ne suffit pas  de vouloir "arrêter" la progression des jihadistes, car le problème dépasse cet objectif militaire, efficace à court terme. Pour le patriarche, les Occidentaux doivent s'attaquer aux racines mêmes du terrorisme, et lancer une mise en garde claire et univoque aux Etats et groupes qui financent économiquement, militairement et politiquement les jihadistes.

La menace que représentent l'Etat islamique et les groupes qui y sont affiliés pour les chrétiens est réelle, et ne peut être mésestimée. Certains analystes vont jusqu'à évoquer, à mots couverts, le risque d'une disparition totale des chrétiens d'Orient. Mais pour le cardinal Raï, le mot d'ordre est celui-ci  : les chrétiens doivent rester sur la terre "qui a vu l'incarnation de Dieu". Ils ne constituent pas une minorité, mais sont les membres d'une seule et même Eglise universelle, celle du Christ. Voilà pourquoi tous les chrétiens du monde doivent se sentir concernés par le drame de leurs frères d'Orient. Et plus que jamais, insiste avec force le Patriarche, le Moyen-Orient a besoin de l'Evangile de Paix et d'amour du Christ, Evangile dont les chrétiens sont appelés à témoigner à temps et à contretemps.

Ecoutez le cardinal Béchara Raï, Patriarche d'Antioche des Maronites, interrogé par Manuella Affejee

Le cardinal Raï en appelle également aux Etats arabes et musulmans, qui, selon lui, ne peuvent rester silencieux devant les effroyables exactions des jihadistes, exactions qui viennent défigurer le visage de l’islam, et dévoyer son message. Il revient enfin sur la crise présidentielle en cours au Liban :

Nous avons remarqué deux choses essentielles émouvantes. Premièrement, la sérénité de ces gens. Ce ne sont pas des gens révoltés. Ils ont le chapelet à la main, ils ont le sourire et ils ont une confiance énorme dans la divine providence. La deuxième chose, c’est la présence des évêques, des prêtres, des religieuses, des laïcs et des volontaires qui vivent avec eux, là où ils sont, toute la journée et toute la nuit.

Voir ces gens privés de tout, dépourvus de tout, des grands et des petits, des bébés nés entre-temps, c’est émouvant mais en même temps, c’est une plaie dans la dignité de l’humanité toute entière. C’est le scandale du 21ème siècle. On a un grand silence de la part du monde entier, de l’Union Européenne, des grandes puissances et en tête les Nations-Unies. On se demande que faire.

Deuxièmement, est-ce possible qu’aujourd’hui, on retourne à l’âge de pierre où c’est le fort qui impose ce qu’il veut ? Est-ce possible que l’humanité, que la communauté internationale reste silencieuse ? En même temps, il faut qu’ils sachent tous qu’ils sont en train de jouer avec le feu en aidant ces groupes fondamentalistes qui menacent le monde entier. Il faut que tous les États sachent que dans toute leur puissance, ils sont menacés. Il faut qu’ils considèrent l’énormité de ce qu’ils font. Ils donnent de l’argent, ils envoient des armes, comme dit le Pape François, ils font du commerce d’armes. Ils les soutiennent pour des objectifs économiques, pour le pétrole ou le gaz ou pour des objectifs politiques. C’est vraiment une honte sur le front de l’humanité !

Nous prions pour que le Seigneur touche les consciences des grands de ce monde mais nous prions surtout pour ces pauvres gens malheureux qui s’adonnent au terrorisme, soit ceux de Daech, Al-Nosra, Al-Qaïda soit les mercenaires. Nous prions pour que le Seigneur touche leur conscience et qu’ils sachent qu’ils sont en train de violer toute leur humanité, de désacraliser l’image de Dieu en eux.

Les patriarches, chefs des Églises orientales se sont réunis à Bkerké, le 26 août dernier. Et vous avez lancé un appel vibrant à la communauté internationale. Vous dites à la communauté internationale « éradiquez l’État islamique et les autres groupes islamiques ». « Éradiquer », c’est une parole très forte. Qu’entendez-vous par là ? Est-ce que vous préconisez une intervention militaire par exemple ?

Nous avons remarqué que certaines coopérations, je parle maintenant de l’Irak, c’était seulement les Américains qui faisaient la couverture aérienne aux troupes du Kurdistan pour arrêter le Daech. Nous avons dit qu’il ne suffisait pas d’arrêter. Il faut que l’Irak reprenne la ville de Mossoul et reprenne aussi les sources de pétrole. Pour l’instant, Daech produit des millions de dollars parce qu’il met la main sur les sources du pétrole. Ils veulent seulement limiter leur progression. Mais nous avons dit qu’il faut les éradiquer pour le bien de l’humanité et pour leur propre bien. Autrement, qu’est-ce que cette comédie ? Il faut que le terrorisme et les groupes terroristes dans le monde cessent. Il faut aussi voir ce qu’il faut résoudre dans ces pays.

Un jour, le Saint Pape Jean-Paul II avait déclaré aux Nations unies qu’il ne suffit pas de dénoncer et condamner le terrorisme. Il faut voir quelles sont les causes du terrorisme. C’est la même chose dans le monde arabe. Au lieu de faire la guerre avec des mercenaires sous l’étiquette de faire une réforme politique et d’établir la démocratie, au lieu de jouer cette comédie comprise par le monde entier, il faut trouver des solutions aux problèmes du monde arabe. Les grandes puissances jouent seulement de leurs propres intérêts en tuant, détruisant et chassant les gens de leur territoire. C’est honteux !

Béatitude, est-ce que la présence des chrétiens au Moyen-Orient, cette présence pluriséculaire que l’Église s’attache à garder et à consolider, est-elle vraiment menacée ? Est-ce que le Moyen-Orient est maintenant menacé de voir partir tous ces chrétiens ? 

Nous disons toujours à nos chers frères qui sont chassés et qui vivent cette tragédie, « restez aujourd’hui. C’est le Moyen-Orient qui a vu l’incarnation de Dieu, la croix de rédemption du monde, qui a assisté à la résurrection du Seigneur, à la descente de l’Esprit Saint et à la proclamation de l’Évangile de paix au monde. Aujourd’hui plus que jamais, votre présence est vitale et essentielle pour ce monde qui ne connait maintenant que la guerre et les destructions. Aujourd’hui plus que jamais, nous le disons à haute voix, le Moyen-Orient a besoin de l’Évangile de la paix, lui qui vit dans la guerre. Il a besoin de l’Évangile de l’amour, lui qui vit dans la haine. Il a besoin de l’Évangile de la fraternité, lui qui vit dans la rancune ».

Nous y travaillons. Nous espérons que l’Église sache que les chrétiens du Moyen-Orient ne sont pas des minorités. Nous l’avons toujours dit et déclaré. Le statut de minorité ne s’applique pas aux chrétiens du Moyen-Orient. C’est l’Église du Christ qui est présente au Moyen-Orient comme elle est présente à Rome, au Congo, à Honolulu ou n’importe où. C’est toujours l’Église du Christ. C’est le Christ qui est présent là-bas. Ce n’est pas une question de nombre. Il faut donc que l’Église toute entière se sente responsable. Il ne suffit pas de dire « les pauvres chrétiens, qu’ils viennent chez nous ». C’est une offense pour nous, c’est une plaie pour nous. Il faut que l’Église toute entière prenne conscience que c’est elle qui souffre, elle qui est attaquée, elle qui est engagée à annoncer l’Évangile du Christ à travers les chrétiens du Moyen-Orient. C’est maintenant l’heure de l’Église. Je dis toujours à haute voix, « le printemps arabe qui a disparu réapparaîtra à travers l’Église et les chrétiens ».

 

 








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