2014-09-04 11:53:00

INTERVIEW avec Jean-Louis de la Vaissière, journaliste de l’AFP à Rome, vaticaniste


Monsieur Jean-Louis de La Vaissière, vous veniez d’accompagner le Pape lors de sa visite apostolique en Corée du Sud, quelle impression générale avez-vous de ce voyage ?

Jean-Louis de la Vaissière (J-L dV): C’est un voyage qui est tout de même une grande réussite parce qu’il a su convaincre une société qu’il connaissait peu en tant que latino-américain, une société qui était apparemment lointaine de sa mentalité, de son éducation. Il a su la convaincre et le contact est très bien passé par lequel il a su encourager une Eglise très vivante, minoritaire. Et en même temps faire passer certains messages pour redresser ce qui n’allait pas. Notamment le thème qui lui est très cher, d’une Eglise qui ne doit pas être trop institutionnelle. L’Eglise coréenne est une Eglise qui est devenue assez riche, bien organisée, qui cherche comme toute la société coréenne de la performance, de l’efficacité. Mais il a rappelé le thème qui est le message social de son pontificat qui est d’être proche des plus pauvres, de ne pas être trop institutionnel, de ne pas être loin des préoccupations des gens. C’est un message à la fois louangeur et un peu critique,  est très bien passé. Parce que c’est une Eglise très vivante, qui sent qu’elle a le futur avec elle. Il faut savoir que c’est une Eglise où il y a 100.000 baptêmes par an. Ce qui est absolument énorme pour nous, Occidentaux. C’est donc une énorme qui se développe et vers où des protestants viennent contrairement à d’autres continents. Certaines Eglises protestantes, éclaboussées par des scandales de corruption, perdent des ouailles qui vont vers l’Eglise catholique qui est beaucoup plus crédible.

 

Dans l’entretien qu’il a eu avec vous, les journalistes, dans l’avion de retour de Séoul, vous avez posé la question de savoir s’il pouvait soutenir une intervention militaire en Irak pour arrêter la progression des djihadistes. La réponse du Pape vous a-t-elle convaincu ?

J-L dV : Je pense que le Pape a voulu cadrer les choses. Il y a eu des déclarations de responsables d’Eglise qui avaient l’air de dire : « oui, nous soutenons les bombardements américains ». Je pense que le Pape a voulu mettre une nuance à ces affirmations en disant : Oui, il faut arrêter l’agresseur, mais il faut que cette décision soit prise par les Nations-Unies, soit prise de manière collective. Il a dit : arrêter l’agresseur, oui, mais bombarder, non ; faire la guerre, non. La limite est très poreuse entre les deux. C’est un exercice d’équilibrisme, à mon avis.

 

Et vous avez apprécié la réponse du Pape donc ?

J-L dV: Oui, j’ai apprécié la réponse du Pape parce qu’il réaffirmait tout de même le crédo non-violent de l’Eglise. Et c’est tout le problème de la guerre juste qui est posé. Je pense que cette réponse était visiblement très préparée. Chaque mot était pesé.

 

Une petit question presque d’ordre personnel puisqu’elle a été posée aussi. Si le Pape décidait de se rendre en Irak, un voyage tout de même plus périlleux que celui qu’il vient d’effectuer en Corée, vous iriez aussi ?

J-L dV: Oui, absolument, je l’accompagnerais. Je demanderais au Seigneur la grâce de m’accompagner aussi.

 

Positif, cela ! Quels sont les « à-côtés » non-officiels de ce voyage en Corée qui vous ont frappés ?

J-L dV: Il y a un aspect qui était très proprement coréen, je l’ai constaté en parlant avec des journalistes coréens : il y a eu cette tragédie du ferry le Sewol avec 300 morts dont beaucoup de jeunes. C’est une tragédie qui montrait la corruption coréenne, les dysfonctionnements etc… Les familles des victimes ont en quelque manière poursuivi le Pape tout au long de son voyage, à chaque étape pour lui faire prendre position sur cette tragédie, pour avoir son soutien face au gouvernement. Et donc le Pape a joué volontiers ce rôle par empathie, pour partager la douleur des familles. Il a même mis sur son habit le ruban jaune, aux couleurs des victimes du Sewol. Ce n’était pas forcément visible par nous, mais c’était un enjeu très important pour la presse coréenne notamment. Et ce qui était amusant en parlant avec les journalistes coréens, c’était qu’ils voulaient savoir si le Pape avait dit qu’il était content d’être venu en Corée. Moi, j’ai dit qu’il avait secoué la tête quand le Père Lombardi lui avait posé la question. Mais ça ne leur suffisait pas. Ils voulaient que ça sorte de sa bouche, mais il était évident qu’il était heureux.

 

Une question de curiosité personnelle : quelle ambiance règne-t-il dans l’avion papal ?

J-L dV : Eh bien, à l’aller on a pu le saluer. On était tous très émus, parce que la manière dont il aborde chacun est très émouvante. Il embrasse quelqu’un qu’il connaît, on peut lui confier des intentions personnelles, il écoute. Il a demandé une minute de silence pour le journaliste qui avait été tué à Gaz. Ça c’était à aller. Et au retour, il y a eu cette conférence de presse où il est extrêmement disponible, et en même temps, on sent qu’il contrôle très bien ; que c’est un jésuite, et donc qu’il sait où il veut en venir. De temps en temps, il dit des choses sur le ton de la plaisanterie, de la boutade. Mais on comprend très bien que c’est de la plaisanterie. Jamais il n’y a de dérapage, jamais d’erreur poussée. A mon avis, il est extrêmement habile au bon sens du terme. Il sait très bien comment répondre aux journalistes aussi avec une simplicité désarmante.

 

Pourtant les questions n’étaient pas préparées à l’avance ?

J-L dV: Voilà. Mais il a dû réfléchir. Il a dû savoir qu’on allait l’interroger sur la Chine et sur l’Irak par exemple, et donc là-dessus il a dû se préparer. Mais quand il est interrogé sur sa popularité, il répond très bien. Il dit que c’est la générosité du peuple de Dieu, c’est très beau. Ensuite, il a eu cette petite phrases au moment du repas : « ça peut durer deux ou trois ans, après je rejoindrai la maison du Père ». C’est une phrase qui a fait jaser, mais en fait il l’a dit sur un ton d’humour…

 

… les gens pensent qu’il avance déjà sa mort !

J-L dV: Voilà. C’est de l’humour, mais en même temps ça fait partie de la personnalité de ce Pape qui peut parler avec simplicité de tout.

 

Et ça plait aux journalistes ?

J-L dV : Oui. Parce que avant, avec d’autres Papes, qui étaient très éminents et très respectables aussi, il y avait des sujets, des mots qui ne venaient jamais dans leur bouche. Il y a des propos très simples du  Pape François, là encore une fois c’est une de ses forces, qui montrent  comme il connait la vie, les gens dans leurs difficultés, dans leurs périphéries. Je pense que tous les journalistes dans l’avion puisque vous me posez la question, certains sont croyants, d’autres sont non-croyants, d’autres encore sont en recherche, mais tous étaient très émus. Ils ont applaudi. Ils étaient tous heureux. C’était une vraie rencontre, pas une rencontre préparée à l’avance.

 

Votre dernier ouvrage porte le titre « de Benoît à François, une révolution tranquille ». Vous vous posiez la question de savoir s’il y avait rupture ou continuité entre les deux papes. Garderiez-vous le même titre si vous deviez réécrire votre livre, maintenant que vous avez pu un peu mieux connaître le Pape François ?

J-L dV : La révolution n’est pas si tranquille que cela ! Il se passe des choses qui ne sont pas si tranquilles dans la Curie. Je crois fondamentalement que Benoît XVI avait un esprit extrêmement acéré, était un observateur très fin du monde contemporain et qu’il a posé les bases d’une doctrine épurée, débarrassée de beaucoup de scories et que le Pape François maintenant traduit ces intuitions à sa manière directe, à travers ses homélies de sainte Marthe, dans un langage très simple, que Benoît XVI ne possédait pas. Par exemple ce refus de la mondanité, ce refus du mélange des genres entre l’Eglise et le pouvoir politique. Ce sont des choses très profondes dans l’enseignement de benoît XVI et que François transmet très bien. En Corée, il a lancé un message très radical : un christianisme qui ne soit pas mondain, un christianisme qui soit débarrassé de ce fléau qui est le lien avec le pouvoir politique, avec la richesse etc… Je pense que c’est Benoît XVI qui en partie a posé les bases de ce qu’aujourd’hui le Pape François prêche d’une manière très crédible. C’est un peu comme ça que je le vois. Donc mon livre, il est toujours actuel, même si je ne m’attendais pas quand je l’ai écrit à ce que ce Pape aille aussi loin dans les gestes. Là il est très différent de Benoît XVI. Il a cette empathie, cette capacité de prendre dans ses bras des gens dans leurs souffrances les plus diverses. Je crois que quand il ira en Afrique, ce sera pareil, il aura des gestes extraordinaires. Ça me touche personnellement.

 

Un mot de la fin ? Quelque chose qui n’est pas ressorti dans mes questions ?

J-L dV :  Je voulais dire que depuis le début du pontificat, certes le Pape peut répéter de temps en temps les mêmes phrases, mais il a approfondi son sillon. Le sillon de la miséricorde, le sillon de la proximité avec l’homme. J’aime beaucoup cette phrase qu’il dit en italien : Uscire e caminare (sortir et marcher). Plutôt que dire dans une centaine de sermons, tu dois faire ça, tu ne dois pas ça lui, il dit : tous les sermons lui, il dit : « marche et suis le Seigneur ; Il t’éclairera ». C’est un langage de confiance, mais surtout il faut que le chrétien sache sortir vers l’autre. Et l’autre est essentiel pour appréhender le Christ. Parce que c’est par l’autre qu’on appréhende le Christ. C’est comme ça que je vois les choses.

Propos recueillis par Jean-Pierre Bodjoko, SJ








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