2014-09-12 08:27:00

Le Califat selon l'Etat islamique


(RV) Entretien - Le tout nouveau Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, le Jordanien Zeid Ra’a al Hussein, s’inquiète du « monde sanguinaire » qu’appellent de leurs vœux les djihadistes de l’Etat islamique. De quelle manière fonctionne un Etat conduit par ces extrémistes radicaux ?

Samuel Laurent a expliqué à Marie Duhamel les règles de conduite de l’Etat islamique et les jalons de ce nouvel Etat. Ce spécialiste du monde salafiste a effectué plusieurs séjours en Syrie. Il est l’auteur de « Al-Qaïda en France »..


C’est un état islamique. D’abord, il est très difficile de connaître aujourd’hui leur politique intérieur, d’autant plus qu’ils sont en guerre. Cela repose exclusivement sur la Charia. Il y a un calife qui est l’autorité absolue, une politique étrangère réduite au strict minimum dans l’Islam salafiste. Il n’y a pas de politique étrangère autre que ce qu’on appelle le « jihad muhabbat », c’est-à-dire le djihad d’annexion. Le califat islamique doit conquérir de nouveaux territoires pour les placer sous le règne de la Charia. Il peut donc y avoir des alliances de circonstance mais il n’y a pas de ministre des affaires étrangères qui va essayer de mettre en place des alliances avec les nations environnantes. Il faut savoir aussi que le salafisme récuse l’existence même de toutes les instances internationales, que ça soit l’ONU, la Banque Mondiale, le FMI. Ce sont des gens à qui on ne pourra jamais parlé.

 

On a quand même l’impression que c’est un peu paradoxal, avec une logique de marché et avec ses richesses, le pétrole à écouler pour avoir de l’argent, etc.

Tout à fait mais rien ne vous empêche de commercer avec « kouffar », l’infidèle à partir du moment où ça sert les intérêts de l’Islam. Donc, c’est là où tout cela est extrêmement pervers. C’est notamment comme cela qu’Hachemi et autres justifiaient les trafics de drogue dans le Sahel parce qu’eux ne touchaient pas la drogue. D’une certaine manière, ils ne contrevenaient pas à la Charia et au contraire, ils aident à affaiblir l’Occident tout en s’enrichissant. Nous sommes dans des logiques qui sont en effet assez hypocrites mais il n’y a strictement aucune contradiction religieuse dans le fait de vendre le pétrole à l’étranger.

 

Et en interne, il y a déjà des structures qui existent, un encadrement de la population ?

Vous avez bien sûr des tribunaux islamiques qui rendent la justice et qui font régner des lois inamovibles, des lois incontestables qui sont les lois de la Charia. Tout est codifié. Par exemple, le vol est un peu plus subtil que ce qu’on dit. On ne coupe pas la main à tous les voleurs. Il faut qu’il ait volé un certain montant. Il faut qu’il ait volé avec deux témoins, il faut qu’il ne soit pas dans le besoin, etc. Il y a un certain nombre de conditions à remplir mais les châtiments sont exemplaires et il faut dire que d’une certaine manière, l’ordre règne.

 

On n’a quand même l’impression que c’est la politique de la terreur ?

C’est complètement une politique de la terreur et vous savez, les salafistes sont ravis de vous l’expliquer. Ils vous expliqueront notamment que pendant toute l’époque de l’empire ottoman, il y a eu cinquante ou soixante amputations parce que ça a valeur d’exemple, parce que ça fait très peur et pour cette raison, la délinquance retombe très proche de zéro. Donc, c’est un véritable règne de la terreur et il y a aussi une autre dimension qui est très dérangeante, celle des minorités religieuses.

C’est très intéressant parce que c’est peut-être l’erreur qu’est en train de commettre l’État islamique d’Irak.  On m’a rapporté que les yazidis n’étaient pas considérés comme aptes à la conversion. Donc, qu’on les exécutait ou on transformait les femmes en esclaves. Et ça, c’est totalement contraire au Coran. Il est possible que l’État islamique d’Irak commence à prendre des libertés avec le salafisme le plus rigoriste pour se transformer en une bande de brigands qui vont s’attirer non seulement les foudres des populations locales mais en même temps, se décrédibiliser auprès des gens qui considèrent le salafisme comme quelque chose d’inamovible. Et c’est une erreur qu’avait commise l’ancêtre de Baghdadi en Irak. Il avait appliqué des lois extrêmement strictes sur les sunnites d’Irak pendant la période américaine et ça avait entrainé sa chute parce qu’à force d’être strict, il était devenu quelque part un tyran sanguinaire qui allait bien plus loin que les lois les plus rigoureuses de l’Islam. Donc, il est possible que dans les mois ou les années qui viennent, on se retrouve dans une configuration similaire.

 








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