2014-09-30 08:04:00

La gauche italienne divisée par la réforme du travail


(RV) Entretien- La gauche italienne est partagée sur la réforme du travail lancée par le président du Conseil, Matteo Renzi. Egalement secrétaire du Parti démocrate, le Florentin a fait face lundi soir à la minorité dissidente de son parti, dont la direction s’est réunie à Rome.

Au centre la discorde, la suppression annoncée de l’article 18 du code du travail qui protège les salariés des licenciements abusifs. Renzi a appelé ses pairs à « dépasser les tabous du passé ». Ses opposants accusent le premier ministre d’autoritarisme. L’article 18 cristallise en tout cas les tensions dans la vie politique italienne depuis 20 ans. Ni Silvio Berlusconi, ni Mario Monti n’ont réussi à s’en défaire. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que l’homme qui s’y attaque est de gauche, comme l’explique Marc Lazar, professeur en sciences politiques à l’IEP de Paris :

C’est un leader du parti démocrate. Son secrétaire qui est actuellement président du Conseil décide de le mettre sur le tapis tout en proposant une grande réforme du marché du travail et qui en plus, interpelle avec virulence et un esprit agressif, ironique et cinglant la secrétaire générale de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro), Madame Susanna Camusso qui prend donc à parti l’opinion. On a effectivement l’impression qu’il y a une volonté d’aller à un bras-de-fer. Peut-être un peu comme Benito Craxi qui, dans les années’80, avait lancé le débat sur la question de l’échelle mobile des salaires et qui avait contraint le parti communiste italien à s’engager dans une bataille qu’il a perdu. Est-ce que c’est cela le calcul de Matteo Renzi ? Pour le moment, je ne sais pas. Mais ce qui est certain, c’est qu’il joue très fort et beaucoup sur cette question qui est nodale. Et pour une bonne raison, c’est qu’il a annoncé beaucoup de réformes et, pour le moment, très peu ont réussi à se concrétiser. Pour sortir l’Italie de cette récession, il pense que la réforme fondamentale est celle du marché du travail et il pense aussi que pour réformer, il faut commencer par provoquer.

Provoquer, ça va au-delà du simple article 18. Dans ce cas, est-ce que ce ne sont pas deux gauches qui s’affrontent ? Même Napolitano apporte son soutien à Renzi. Est-ce qu’on est aujourd’hui à un tournant pour la gauche italienne ?

Cette dimension-là est incontestable. C’est-à-dire que le parti démocrate sous Renzi règle effectivement ses comptes avec la vieille garde issue du parti communiste italien. On voit que la figure emblématique de l’opposition à Renzi est l’ancien secrétaire du parti démocrate, à savoir Pier Luigi Bersani qui a tout perdu. Oui, il y a cette dimension-là mais je crois que ça va au-delà. Je pense véritablement qu’au-delà de cet affrontement entre les deux gauches, la grande question pour Matteo Renzi, c’est essayer de concrétiser ces réformes parce qu’il en a annoncées beaucoup mais jusqu’ici il n’a pas pu toutes les mener à bien. Celle du Sénat est en train de prendre forme et il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Par conséquent, il veut frapper un grand coup et cliver une partie de l’Italie divisée pour montrer qu’il réforme. Et je me demande s’il n’y a pas un calcul de fond et un calcul de court-terme. Le calcul de fond, c’est que Matteo Renzi veut s’imposer comme la figure de celui qui casse tout, le « rottamatore », celui qui met à la casse tous les vieux et qui est décidé à faire bouger les lignes, à renverser la table. Et puis, il y a peut-être une autre grande question :  il joue peut-être là une carte de courte vue qui est celle de provoquer une grave crise dans les partis politiques pour aller vers des élections anticipées au plus vite pour essayer de sortir de cette situation de paralysie et de gagner ces élections avec une majorité claire à la chambre des députés, un Sénat qui serait peut-être - si la réforme est passée- réduit aux acquêts et donc, avoir des pouvoirs considérables pour mener à bien son entreprise.

Il tient encore tout de même tout son parti et tout le pays.

Alors, attention, Matteo Renzi contrôle la direction nationale de son parti. Il a fait un remplacement complet de la direction du parti. Mais il y a des poches de résistance dans les fédérations locales et les fédérations régionales. La bataille n’est pas gagnée à l’intérieur du parti et l’éditorial de Ferruccio de Bortoli dans le « Corriere della Sera » qui est un journal influent des milieux d’affaire de Milan montre qu’il provoque aussi des réactions de ceux qui auraient a priori pu le soutenir. Effectivement, il faut rendre flexible le marché du travail. La rupture qu’est en train de faire Matteo Renzi s’il va jusqu’au bout, c’est la rupture avec les méthodes de changement qui ont longtemps existées en Italie, c’est-à-dire la politique des compromis et des médiations. Là, il a l’air de partir vers un bras-de-fer. Ira-t-il jusqu’au bout ou encore une fois, au dernier moment, est-ce qu’il va essayer de trouver quand même quelques petits compromis en essayant d’arracher le maximum ? C’est la grande question qui est posée.  








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