2014-10-01 15:30:00

Transition énergétique en France : les industriels aux manettes ?


(RV) C'est un texte qui, promet-elle, « va changer la vie des Français ». Attendu depuis deux ans, le « projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte », porté par la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, était présenté ce mercredi devant l'Assemblée nationale. 

L’occasion de mettre sur la table le fruit de longs débats concernant la part du nucléaire, des énergies fossiles ou encore renouvelables dans le modèle de développement français.

Ce texte aux enjeux très forts, ne suscite pas l’enthousiasme des milieux écologistes qui regrettent le poids concédé aux lobbies industriels. C’est l’avis que Maryse Arditi, responsable du secteur énergie à France Nature environnement, un mouvement qui fédère 3000 associations de protection de la nature et de l'environnement, a confié à Olivier Bonnel 

On a eu un débat qui a été très long mais qui a quand même fini par accoucher à force de discussions et de débats avec des mesures assez intéressantes, en particulier de vision à l’horizon 2050. Avant, on a attendu. Il ne se passait rien. On n’arrivait pas à voir émerger un texte. Aujourd’hui, on va avoir un évènement face à l’Assemblée Nationale où on aura des gens qui auront des boulets aux pieds qui s’appellent EDF, Total, Areva. Tous ceux qui n’avaient pas envie de voir cette transition s’installer.

Beaucoup dénoncent le poids des lobbies industriels du nucléaire et de l’électricité. Selon vous, c’est ce qui plombe réellement cette loi ? On ne peut pas discuter dans ces conditions là ?

Tous les producteurs, tous ceux qui vendent de l’énergie ont envie de continuer à en vendre beaucoup. C’est aussi bête que cela. Ils descendent leurs propres intérêts. Pour une fois, il se trouve que leurs propres intérêts ne correspondent pas avec ceux de l’État et du citoyen de base. C’est pareil pour les banques. Ce sont elles qui doivent prêter de l’argent pour les travaux de rénovation énergétique. Elles n’ont pas envie de le faire, ça ne les intéresse pas. Seulement voilà, elles ne veulent pas le faire mais elles ne veulent pas non plus que d’autres se mettent à le faire à leur place. On a donc effectivement un poids important de lobbies qui sont bien dans la situation actuelle et qui n’ont pas envie que cela change.

Revenons un petit peu en détail sur ce que prévoit cette transition énergétique, notamment la réduction de la part du nucléaire de 75% à 50% en 2025. À quoi  est-ce que cela correspond et est-ce réaliste ?

Le problème, c’est qu’on a écrit l’objectif. Toutes les fois où on a écrit des objectifs, on peut quand même en discuter, les objectifs lointains étant meilleurs que les objectifs proches. L’ennui, c’est que l’on a rien mis dans la loi qui permette de savoir si oui ou non, on va atteindre ces objectifs. Un exemple : dans la loi, la seule chose qui soit écrite sur le nucléaire, c’est que lorsque les centrales vont passer l’âge de quarante ans, il y aura une enquête publique (tandis qu’aujourd’hui, elles agissent en catimini, sans que personne ne soit au courant de rien). Quarante ans, c’était la durée de vie qu’on envisageait. On est donc en train d’arriver à la fin de leur durée de vie telle qu’elle a été conçue. Depuis, on a quand même observé que dans l’ensemble du monde, les accidents nucléaires sont beaucoup plus fréquents que ce qu’on avait imaginé au départ, en 1960-1970 lorsqu’on les a construites. Nous sommes donc fortement inquiets sur la sécurité.

Dans toute cette affaire, le politique a finalement très peu de pouvoir face à l’industriel.

Il a les pouvoirs qu’il se donne. Les pouvoirs sont là mais il n’ose pas les prendre. On aurait par exemple pu écrire dans la loi que l’État fixait, en accord avec l’AFN, quelles sont les centrales que l’on ferme, après une étude sur la sécurité. Mais on a dit non, c’est EDF qui le dira. Aujourd’hui, si nous avons un pépin grave, le premier dans la ligne de mire, c’est EDF. Le deuxième c’est l’AFN et le politique n’arrive qu’en troisième parce qu’il est obligé de s’appuyer sur des experts.

Si on revient un petit peu sur les objectifs de cette loi, il y a notamment la réduction de 30% de la consommation des énergies fossiles en 2030. Est-ce que c’est un objectif réalisable ?

C’est toujours pareil. Ce qui est réalisable dépend de la volonté politique que vous avez derrière. Si vous décidez que finalement, on va peut-être se mettre à faire des gaz de schistes, non seulement on ne va pas le faire mais on va même en remettre plus. Ou bien, vous avez une vraie volonté politique de faire cette transition et à ce moment-là, on peut dire que les voitures vont réellement réduire leur consommation, qu’on va réellement mettre partout la priorité sur les transports en commun, de mettre en priorité le rail sur les poids lourds. Alors que là, on fait juste l’inverse.

On parle des lobbies, de la réelle difficulté d’arriver à des décisions réelles, concrètes et en même temps, on a le sentiment que depuis plusieurs mois, depuis plusieurs années, la société civile, les citoyens et les ONG n’ont jamais été aussi écoutés, ou en tout cas, audibles. Elles alertent dans le débat public. Est-ce positif pour vous ?

Oui, ce qui est très important dans ce débat, c’est que toutes les associations concernées et même plus largement concernées ont travaillé ensemble ou ont fait bloc, chacune amenant sa compétence technique sur un point ou sur un autre, si bien qu’on a couvert l’ensemble du domaine de l’énergie. Certains connaissent mieux les rapports entre EDF et les autorités de distribution locale. D’autres connaissent plus les visions à long terme. D’autres encore, s’y connaissent plus dans le bâtiment.

On a donc couvert l’ensemble et on a été présent partout. D’ailleurs, on a quand même avancé, il faut être honnête ! Ça a progressé en partie sur le bâtiment. Un certain nombre de députés ont reconnu qu’il fallait isoler nos bâtiments, nos maisons, nos logements pour consommer moins.

En revanche, sur les énergies renouvelables, il n’y a quasiment rien eu et cette loi a pour objectif de freiner définitivement le développement des renouvelables en France. Le problème des renouvelables, c’est qu’il y a des pays dans l’Europe qui sont déjà très avancés, comme par exemple l’Allemagne. Le résultat, c’est que l’Allemagne fait énormément de renouvelables et elle les exporte partout. Ça déséquilibre les réseaux. Ça embête les autres, ceux qui produisaient déjà des fossiles, de l’électricité avec du gaz, du nucléaire, etc. On est obligé de les arrêter parce qu’il y a des renouvelables qui se mettent sur les rangs. Du coup, on dit que puisque c’est comme cela, on ne va pas arrêter de les aider mais elles vont aller vendre sur le marché. Et si elles en mettent trop et le prix baisse, les prix baisseront aussi pour eux. On fera tout de même une petite rémunération complémentaire parce qu’on ne peut pas les tuer officiellement tout de suite.

Il y a des pays qui veulent quand même de la transition. Mais nous, en France, nos énergies renouvelables sont encore très faibles. Les énergies solaires et l’éolien sont encore très petits. Et depuis trois ans, on les a radicalement faites chuter, on les a vraiment plombées. D’ailleurs, si on applique ce qu’on va appliquer pour l’Allemagne qui elle, est effectivement en état parce qu’elle est plus costaud pour le supporter, elle continuera à se développer mais un peu moins vite et nous, on va définitivement se plomber, sauf les gros. C’est-à-dire qu’en réalité, toutes les PME qui sont investies dans les énergies renouvelables depuis cinq, dix, quinze ans, bien avant les grosses, elles vont mourir et puis EDF, Areva, Total, Gaz de France et quelques autres gros vont tenir car ils ont les moyens. On considère que cette loi est très néfaste pour les énergies renouvelables. 








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