2014-10-08 16:40:00

Mexique : la répression des mouvements sociaux au Guerrero


(RV) Entretien - C’est l’un des États les plus violents du Mexique. Le Guerrero, cet État très rural et très pauvre, où ce week-end ont été retrouvés 28 corps calcinés dans des fosses clandestines. Des corps qui pourraient être ceux des étudiants disparus depuis fin septembre.

Le 26 septembre dernier, 57 étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa ont été enlevés par des policiers municipaux à Iguala dans l’État du Guerrero, alors qu’ils manifestaient pour demander plus de subventions. Dimanche, deux membres présumés d’un cartel de drogue ont avoué avoir assassiné 17 d’entre eux. Depuis, la police locale a été mise en cause, certains policiers ont été accusés de travailler pour un gang du crime organisé. 

Pourquoi ces étudiants d’écoles normales sont-ils particulièrement visés ? Les explications d’Hélène Combes, chargée de recherche au CNRS, rattachée au CERI à Sciences Po. Elle est interrogée par Audrey Radondy.

 

Pourquoi précisément s'attaquer à ces étudiants ?

Depuis les années 40, ces écoles normales rurales étaient considérées comme des viviers de la contestation. Elles ont été taxés de bolcheviques dans les années 40 et 50 et de viviers de la guérilla dans les années 60 et 70. Ces écoles rurales, pas seulement dans l’État du Guerrero mais dans d’autres États, ont souvent été contestataires. Les étudiants vivent ensemble et il y a donc une très forte organisation communautaire qui a fait que bien souvent, c’étaient des lieux de production d’un militantisme très important.

Ces dernières années, il y a eu régulièrement des mouvements parce qu’en plus, leur situation s’est énormément dégradée. Ils ont de moins en moins de financements publics et ils vivent dans des conditions qui sont extrêmement difficiles.

Ce sont des étudiants qui ont une certaine aspiration, ascension sociale, qui sont paysans mais qui apparaissent souvent au personnel politique, là où ils sont implantés, comme des révoltés en puissance. Ils ont donc souvent fait l’objet de répression, d’autant plus que le Mexique est une société extrêmement clivée socialement et la répression, de manière générale, touche plus les milieux populaires d’origine indigène. Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? Pour l’instant, il n’y a pas d’éléments pour savoir si, par exemple, ces étudiants gênaient le cartel qui les a tués dans la zone où ils sont.
 

Est-ce qu’avec cet évènement, un cap a été franchi ?

C’est indéniable pour deux raisons. D’abord, l’ampleur du massacre. Si on remonte jusqu’aux années 40, il y a eu très fréquemment des assassinats de militants, de dirigeants, de mouvements d’opposition, que ce soient des mouvements sociaux ou des partis d’opposition. Mais c’étaient généralement deux ou trois personnes. Dans les années 60, on a eu des cas de répression de mouvements où c’étaient 10 ou 15 étudiants. Là, on est en train de parler de 6 morts avérés et 43 étudiants qui ont disparu. L'autre aspect, c’est que parmi les corps qui ont déjà été retrouvés, il y a des signes de torture, de barbarie. Donc, on franchit un cap dans l’horreur. Le dernier aspect, c’est que pour la première fois de manière aussi évidente et aussi massive, on a une collusion entre la force publique et les cartels de la drogue. Donc, même si c’est quelque chose qui avait pu être avéré ailleurs de manière ponctuelle, ça met ici vraiment en lumière ce phénomène et on voit vraiment au niveau national une mobilisation autour de ce cas.
 

Est-ce que les autorités peuvent faire quelque chose par rapport à cette répression des mouvements sociaux et de la mobilisation étudiante ?

Ça relève de la formation policière et de choix politiques qui sont faits, ou qui ne sont pas faits, pour vraiment former la police aux questions du maintien de l’ordre. Ces dernières années, il y a régulièrement eu des purges dans la police, au niveau municipal, au niveau des États fédérés, au niveau des polices qui sont plus sensibles. Il y a donc un véritable problème au niveau de l’organisation de la police. D’ailleurs, le gouvernement fédéral a envoyé une force de police qui dépend directement de la présidence de la République pour sortir de ce contexte local. Sur la question de la lutte contre l’infiltration du narcotrafic au niveau de la police locale, c’est un véritable enjeu dans certains États comme le Guerrero et le Michoacán principalement.  








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