2014-10-16 19:10:00

Le cardinal Poupard évoque son amitié avec Paul VI


(RV) Entretien - Dimanche matin aura lieu la messe de clôture du Synode extraordinaire des évêques sur la famille et la béatification du Pape Paul VI. Francophone et francophile, Giovanni Battista Montini fut un proche collaborateur de Pie XII, avant d’être nommé archevêque de Milan et d’être élu en 1963 sur le trône de Pierre. De lui, on retient notamment la première accolade fraternelle avec le patriarche orthodoxe de Constantinople Athénagoras, à Jérusalem ; son plaidoyer pour la paix à la tribune des Nations unies ; ou encore sa défense de la vie et du développement des peuples.

Paul VI fut également le Pape qui mena le Concile à son terme, et la date de sa béatification, dimanche, en clôture du Synode sur la famille, n’a pas été choisie au hasard par le Pape François. Le cardinal Paul Poupard, président émérite du Conseil pontifical pour la culture, fut un des proches collaborateurs de Paul VI. Il évoque ses souvenirs du temps de Vatican II. 

Le cardinal Paul Poupard interrogé par Marie Duhamel

L’élection de Paul VI s’est déroulée le jour de la fête du Sacré-Cœur, en juin 1964. Il a donc ouvert la seconde session du Concile comme Pape avec ce discours passionné et qui là encore, comme il l’avait fait le jour de son couronnement,  place Saint-Pierre, pratiquait très largement le questionnement. Il évoque ces voix formidables (formidable était un adjectif qu’il affectionnait) du monde moderne. « Ces voix, saurons-nous les entendre ? », voilà quel était le discours d’intronisation de son pontificat. Ensuite, lors de l’ouverture de la seconde session, la première qu’il présidait comme Pape, il pose trois questions. « D’où venons-nous ? Quelle est notre route ? Quel est notre but ? ». Et il apporte la réponse : « C’est le Christ qui nous a convoqués. C’est lui notre chemin et c’est vers lui que nous allons ». Et le soir, je vais dîner avec les observateurs venus de Moscou. Les observateurs orthodoxes avaient été subjugués par cette christologie. Le Christ uniquement, et uniquement le Christ.

On sait qu’il a été un très grand travailleur. Comment a-t-il mené le Concile Vatican II à son terme ?

Comme j’étais à la secrétairerie d’État, j’ai été utilisé par les Pères du Concile qui voulait faire savoir au Pape leurs préoccupations. Ce que j’ai retenu, c’est qu’il lisait tout, absolument tout. J’étais très lié avec Mgr Colombo, théologien de Milan. Il m’a raconté que dans l’intersession, il l’avait invité à Castel Gandolfo et ensemble l’après-midi, il lui faisait lire tous les textes. La première écriture avait suscité de très vives oppositions, notamment le texte sur la liberté religieuse. Il se faisait lire toutes les objections de façon à bien vérifier que la doctrine exprimée permettait d’y répondre et en y répondant, consentait d’obtenir le consensus de toute l’assemblée. Sa préoccupation majeure fondamentale était celle-là. C’est-à-dire de lever tous les doutes et toutes les objections dont il comprenait le bien-fondé. C’est pour ça qu’il a suscité la surprise, le doute et l’irritation des jeunes experts. Je me rappelle le cardinal Léger de Montréal. J’arrive un matin à la secrétairerie d’État,  le cardinal Léger m’attendait avec en main une pétition qui était signée par 30 cardinaux, 100 archevêques et 300 évêques. Instanter instantius tantissime, je devais tout de suite aller chez le Pape pour le supplier de promulguer la liberté religieuse. Et Paul VI avait bien conscience que le premier schéma était quand même assez sociologique et pas assez théologique. Il a demandé à le reporter pour que l’intersession permette de mûrir le texte. Et dix ans plus tard, je tenais une conférence à Montréal et du plus loin qu’il me voit, le cardinal Léger se précipite sur moi et me dit « Cher Mgr, combien nous devons admirer la sagesse de Paul VI qui a su nous faire patienter pour que le texte soit un véritable texte théologique et que la liberté religieuse ne soit pas une concession à l’esprit du temps mais fondée sur la dignité de la personne humaine ! ».

Vous diriez que c’est l’écoute et le consensus qui ont été des mots clefs pour mener à bien ces travaux ?

Tout à fait, il avait une conscience aiguë de sa responsabilité de Pape. Il respectait absolument la liberté des Pères du Concile et il ne voulait pas peser sur eux. Et en même temps, il disait « Je ne suis pas simplement le notaire du concile. Je suis aussi un Père du Concile ». Et donc, il revendiquait sa liberté. Il est très intéressant de voir comment l’encyclique Ecclesiam Suam a contribué à l’élaboration de ce qu’on appelait à l’époque le schéma 13 qui est donc devenu la constitution pastorale Gaudium et Spes. Il y a donc comme une interaction. Il suivait tous les débats sur une télévision dans son appartement. Quelquefois, il me chargeait le soir de faire porter un livre à l’un des Pères du concile dont il avait particulièrement aimé l’intervention.

Il a eu aussi à souffrir des conséquences du Concile. On imagine que ça l’a profondément affecté aussi de voir les prêtres partir ?

Ce concile a été une souffrance extrême. Je le revois radieux le 8 décembre 1965 remettant le message aux hommes de la pensée, de la science, à Jean Guitton, à Jacques Maritain, etc. C’était un soleil radieux et puis, les bourrasques sont venues. C’était mai 1968 et c’était l’interprétation du Concile, tout ce qu’a admirablement repris Benoît XVI et qui a gauchi le Concile avec des interprétations tout à fait erronées, au nom du Concile. Et puis, il y a l’air du temps. L’Église était allée au monde mais elle y était allé pour y pour le convertir et non pas pour s’y subvertir. Et cela, il en a beaucoup souffert. Mais au milieu de tout cela, on a pu voir sa grandeur et sa sainteté.

Comme le Pape Saint Jean-Paul II l’a exprimé dans le début de sa première encyclique Redemptor Hominis, il a été le timonier qui a su maintenir la barque de l’Église dans ces moments difficiles, entre les récifs. Ca ne venait pas seulement, comme on le disait à l’époque, du côté des progressistes  mais en même temps, du schisme de Mgr. Lefèvre. Mgr. Lefèvre était le représentant du Saint-Siège le plus important. Il était le représentant du Saint-Siège pour toute l’Afrique francophone et Madagascar. Là où aujourd’hui, ils sont au moins une douzaine de nonces. Quand il est arrivé à la secrétairerie d’État, il y avait un frémissement. Il avait déjà son chapeau de cardinal sur la tête.

Et donc penser qu’après, il s’est dressé contre le Concile, ça a été une souffrance très forte et en même temps, il gardait toujours le cap de l’espérance. Ça a été cette lumière merveilleuse de 1975. Contre l’avis des collaborateurs, il a osé ce qui allait contre l’air du temps, faire une année sainte et à la surprise de tous, des millions de pèlerins sont venus à Rome apportant un renouveau, une fraicheur. Et 1975, il a publié cette exhortation apostolique. L’historiographie l’a retenu comme un Pape triste. Mais je tiens à dire que c’est le seul Pape qui a fait une lettre apostolique sur la joie de croire. D’ailleurs, le Pape François le cite. C’est la première référence qu’il donne dans Evangelii Gaudium. Donc, Paul VI  nous donne à Noël ce chef-d’œuvre qui est Evangelii Nuntiandi sur la joie d’annoncer l’Évangile. Et rappelez-vous le dernier paragraphe de cette lettre apostolique « Notre temps attend souvent à son insu l’annonce de la bonne nouvelle de l’Évangile, non pas d’annonciateurs tristes et résignés mais joyeux, enthousiastes, porteurs de cette bonne nouvelle ».  Et j’ai été très frappé que dans ce beau document que nous a donné le Pape François, la joie de l’Évangile, il cite presque à chaque page Evangelii Nuntiandi. Et un jour, j’avais concélébré avec lui et encore une fois, il avait cité Paul VI. Par après, je lui ai dit « Très Saint Père, comme vous savez j’ai longtemps été le collaborateur de Paul VI. Je vous suis gré et je vous remercie ». Il a dit « Mon cher, Paul VI, il faut toujours y revenir ».

François est un fils du concile mais il cite continuelllement Evangelii Nuntiandi. Il y a-t-il une filiation certaine ?  

Certaine et avouée. J’ai participé à la réunion du CELAM, à Aparecida. Comme vous le savez, à la fin, il faut bien qu’il y en ait un qui prenne la plume et ça a donc été Bergoglio. Et lui-même a dit de ce document que c’était l’Evangelii Nuntiandi pour la pastorale en Amérique latine. La maturité et la conscience d’Église de Bergoglio se sont formées à travers le magister de Paul VI. Il est véritablement fils du concile et fils de Paul VI.

 

 








All the contents on this site are copyrighted ©.