2014-10-20 11:26:00

Euthanasie : le risque de la banalisation


(RV) Entretien - Le débat sur l’euthanasie est à l’agenda du gouvernement français, Le Premier ministre Manuel Valls, qui compte trois membres du Parti radical de gauche dans son gouvernement, a promis au président de ce petit parti Jean-Michel Baylet, un texte sur la fin de vie avant la fin du quinquennat de François Hollande.

Il faudra aller au-delà de la loi Leonetti de 2005, a précisé Manuel Valls. L’auteur de cette loi lui-même, le député UMP Jean Leonetti s’est vu confié, par le président de la République la rédaction d’un rapport sur des pistes d’évolution de la législation existante. Le développement des soins palliatifs fait partie des pistes envisagées par le député de l’opposition qui mène cette réflexion en tandem avec un député socialiste. Le Parlement sera saisi du sujet avant la fin de l’année.

De fortes hésitations

Les consultations engagées par l’exécutif depuis le début du quinquennat de François Hollande montrent de fortes hésitations. En juillet 2013, le CCNE, le Comité consultatif national d’éthique, avait émis un avis défavorable, écrivant qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à donner la mort. Ils manifestaient aussi une inquiétude concernant l’élargissement des possibilités d’euthanasie dans les pays qui ont légalisé cette pratique, notamment la Belgique.

Le Père Bruno Cazin, président-recteur délégué de l’université catholique de Lille, est aussi médecin. S’appuyant sur l’expérience de ses voisins et confrères belges, il s’inquiète d’une banalisation de l’euthanasie. Il est interrogé par Cyprien Viet 

Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’être troublé par des échanges avec des collègues belges, y compris des collègues catholiques qui, du fait de la permissivité de la législation, sont confrontés à des demandes d’euthanasie ou cautionnent des demandes d’euthanasie dans des circonstances qui effectivement, sont pour le moins troublantes. Toute circonstance serait troublante mais celles qu’ils évoquent le sont davantage encore. De fait, je pense qu’on voit bien combien une législation qui autorise l’euthanasie, même si beaucoup l’appliquent avec scrupules, peut conduire à des situations où finalement, la liberté individuelle se débride sans limites et où même des gens qui ont des repères et des valeurs de respect de la vie peuvent finalement succomber à cette sirène de la liberté personnelle et à disposer de leur propre corps. « Je décide ce que je veux pour mon corps. Si j’ai demandé en toute conscience l’euthanasie, soit parce que je suis conscient, soit parce que des directives anticipées l’ont explicité, le médecin devient alors un prestataire de service qui doit s’exécuter ». Je pense qu’à partir du moment où il y a des exceptions, on ouvre une brèche qui rend la permissivité possible et qui à terme, met en cause les liens de confiance qui existent entre les médecins, les soignants, les patients et leurs familles.

Ressentez-vous actuellement dans l’opinion française un glissement en faveur de l’euthanasie, ou au contraire, le maintient d’une certaine prudence en la matière ?

Je pense que l’opinion publique française a malheureusement été marquée voire manipulée par des faits singuliers et dramatiques qui ont été exposés à grand renfort de médias. Ce qui de fait, confère à l’euthanasie une position plutôt favorable dans l’opinion publique. Mais je pense que dès que l’on prend le temps d’expliciter les enjeux et surtout cet enjeu de confiance, de responsabilité,  que le fait qu’être médecin, c’est une mission reçue par la société avec une délégation à travers le diplôme et le droit d’exercer, les gens mesurent combien l’interdit est bon pour une société pour pouvoir tout simplement vivre ensemble et se faire confiance. Les gens sont très sensibles à la question de l’accompagnement et les rôles des uns et des autres doivent être bien définis. La mission d’un soignant, c’est de soigner, accompagner. Ce n’est pas de donner la mort. Ce principe-là est relativement bien accueilli.

En France, comment un médecin peut-il réagir face à une demande d’euthanasie ? Quels sont les moyens dont il dispose pour remédier à cette situation de détresse ?

L’expérience que j’ai, c’est vraiment l’expérience de l’accompagnement, du dialogue, en amont du diagnostic d’une maladie grave avec la personne malade et avec sa famille. C’est la pratique pour l’immense majorité des demandes d’euthanasie. Après, je pense qu’il y a deux types de partisans de la réalisation de  loi Leonetti. Il y a des gens qui sont vraiment idéologiquement pour qu’on dispose de son corps et pour à terme, obtenir une euthanasie extrêmement large. Et il y a des gens qui sont confrontés à des situations extrêmement douloureuses et qui pensent que l’euthanasie, c’est l’ultime recours possible dans des situations d’exception. Je n’approuve pas personnellement ce type de position mais je la comprends davantage. Cela s’illustre très bien par le problème de la sédation : la sédation en phase terminale ou la sédation terminale. La frontière est quelque fois extrêmement ténue. Elle est dans l’intention ou non de donner la mort. Je pense que les rôles des médecins et des soignants, c’est vraiment de soulager, d’apaiser. Parfois, quand on n’a pas réussi à contrôler la douleur ou d’autres symptômes extrêmement pénibles, il faut recourir à la sédation. Dans ce cas-là, on est vraiment dans la sédation en phase terminale, sans intention de donner la mort. Et c’est différent d’une sédation terminale qui est en fait une espèce d’euthanasie différée. C’est vrai que la frontière entre les deux est parfois ténue mais l’intention est claire parce que les médecins connaissent les dosages, ils savent comment se servir des médicaments et à quel rythme on accélère une perfusion ou on augmente la concentration. Ces choses-là sont quand même assez claires. Donc, je pense qu’il faut rester ferme sur le principe et surtout, valoriser l’accompagnement en amont et le dialogue de façon à ce que ces situations d’exception soient les plus rares possibles.

Dans le corps médical, est-ce que les positions de l’Église sur ces questions de fin de vie sont écoutées, comprises et connues de tous ?

Dans le corps médical, ce n’est pas d’abord la position de l’Église qu’on commente. Je pense qu’un certain nombre la connaissent -un certain nombre sont chrétiens- et d’autres la méconnaissent. Ce sont davantage l’aspect professionnel de la confiance entre les médecins et les patients et les arguments éthiques qui sont mis en valeur, plutôt que des arguments religieux. À vrai dire, l’Église met d’abord en avant les arguments d’ordre rationnel. Mais les démonstrations ou les arguments de l’Église ne sont pas toujours bien connus de tous. Dans le corps médical, je pense qu’il y a plutôt une réticence de la majorité des médecins à être permissif en matière d’euthanasie, en tout cas en France. Mais comme toujours, il y a des affrontements idéologiques qui se font sentir.

Aujourd’hui, selon vous, est-ce que les soins palliatifs se développent de façon satisfaisante  en France? Est-ce qu’ils peuvent offrir une alternative intéressante dans ce débat sur la fin de vie ?

Les unités de soins palliatifs se sont effectivement multipliées en France, unités fixes ou unités mobiles. Notre université catholique de Lille a été la première en France à offrir un diplôme universitaire de soins palliatifs. Cette formation reste  très fréquentée. D’ailleurs, une nouvelle édition du manuel de soins palliatifs qui fait référence en langue française vient de sortir. C’est la troisième édition. Je voudrais aussi souligner la part extrêmement importante que jouent les associations de bénévoles qui accompagnent les malades en fin de vie, en plus de tous les professionnels qui sont impliqués dans cet aspect de la médecine.

J’ai longtemps cru que ce mouvement des soins palliatifs est la réalité sociale qui représente dans notre pays et dans bien d’autres pays, le meilleur garant et la meilleure résistance à des lois permissives sur l’euthanasie. Peut-être que j’ai méconnu la violence de l’affrontement idéologique qui fait qu’en mettant en avant la liberté individuelle, le droit de disposer de son corps et le droit d’avoir des directives anticipées, on peut effectivement craindre des changements législatifs. On voit bien l’embarras qui existe en France là-dessus depuis l’élection de François Hollande. Ça tergiverse en la matière !  Ça montre bien qu’on a vraiment deux tendances qui s’affrontent et une belle résistance de ceux qui pensent que l’accompagnement en fin de vie en soins palliatifs et la limitation des traitements que la loi Leonetti clarifie suffisent comme solution pour notre société.  

 








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