2014-10-24 08:07:00

Tunisie : l'exception des printemps arabes ?


(RV) Entretien - Les Tunisiens sont appelés aux urnes dimanche pour les élections législatives. Le moment est historique : il s’agit en effet de l’élection du premier Parlement depuis la révolution de 2011. Mais aussi de la dernière étape de la transition démocratique pacifique du pays, qui espère pérenniser sa démocratie balbutiante. Celle-ci s’est avérée être aujourd’hui une exception parmi les pays du Printemps arabe, lesquels ont, pour la plupart, basculé dans le chaos, ou la répression.

Parmi les principales forces politiques en présence : le parti islamiste Ennhada, qui a dirigé la Tunisie jusqu'à début 2014, avant de laisser la place à un gouvernement apolitique. Après avoir affronté de graves crises, Ennahda, qui se pose en parti de consensus, fait figure aujourd'hui de favori.

Face à lui, une opposition dispersée, morcelée en une multitude de partis, dont un qui semble toutefois sortir du lot, Nidaa Tounès, mené par Béji Caïd Essebsi, 87 ans, ancien ministre de l'ère Bourguiba. Ce parti est cependant tiraillé en interne, de nombreux cadres craignant la trop grande influence laissée à des personnalités issues du régime Ben Ali.

Ahmed Benani, politologue à l’Université de Lausanne, nous dessine le portrait de la Tunisie actuelle, à la veille d'élections cruciales pour son avenir. Il est interrogé par Antonino Galofaro : 

Il y a un esprit citoyen, il y a un mouvement de femmes qui ne veut pas renoncer aux prérogatives dont elles ont bénéficiées depuis l’ère de Bourguiba. La révolution se situe entre 2010 et 2011. Il est temps de mettre un peu d’ordre et de stabiliser la situation.

Le processus démocratique, après la révolution tunisienne, a pris du temps et a même pris du retard. Comment vous l’expliquez ?

Vous savez, c’est un peu comme dans tous les pays du Maghreb. C’est-à-dire qu’après les enthousiasmes des indépendances postcoloniales, les citoyens rêvaient d’un Maghreb qui à la limite, rentrerait en compétition avec l’Europe voire la dépasserait en mettant un plan d’unité, d’unification du Maghreb avec les ressources agricoles du Maroc, le pétrole algérien, etc. Finalement, on est rentré dans des situations de concurrence interétatiques, de nationalismes chauvins et froids qui ont créé ce que Béji appelle la désillusion nationale. Et il a fallu attendre cinquante, soixante ans, presque un demi-siècle pour qu’une conscience citoyenne se réveille ici où là. La Tunisie nous a donné le signal de cette mutation mais ce qui est sûr, c’est que dans un premier temps, il fallait comprendre que la chute d’un dictateur ne signifiait pas la chute de la dictature. Et il a fallu ces quatre années pour que les différents acteurs sociaux dans une société atomisée réalisent qu’il fallait créer une sorte de consensus national, d’unité nationale. Et je crois qu’ils y parviennent maintenant. Quatre ans, ce n’est pas beaucoup.

Quels sont les enjeux de ces élections ? Est-ce qu’elles sont internes, notamment avec la pauvreté et le chômage qui ont été les facteurs de la révolution il y a quatre ans ? Est-ce qu’ils sont aussi internationaux avec la situation voisine en Lybie, avec Daech dans la région ?

Vous ne pouvez pas dissocier les deux. Vous savez, beaucoup de gens pensent que le printemps arabe est mort. Moi, je pense que le printemps arabe continue sous d’autres formes. C’est-à-dire qu’il a réveillé à la fois les consciences citoyennes modernes en faveur de modèles démocratiques égalitaires et des forces obscurantistes islamistes, etc... Donc, la Tunisie est à la fois plongée dans ce monde qui est le monde arabo-musulman, le monde arabe avec ses contradictions et ses conflagrations et en même temps, elle regarde vers un avenir plus moderne, plus citoyen, plus civil. Il y a une dialectique entre ces deux tendances. Au tout début, ma crainte était que le mouvement Ennahda l’emporte, un peu comme il s’est passé en Égypte avec les Frères Musulmans. Mon optimisme d’aujourd’hui s’explique par le fait qu’Ennahda a tiré la leçon de l’expérience égyptienne et ne créera pas de troubles qui touchent à l’ordre religieux, à la paix religieuse et à la paix sociale. Alors, la Tunisie a deux enjeux, c’est stabiliser le pays, créer des emplois, décoller, retrouver en tout cas au moins les ressources que lui a apporté le tourisme et en même temps, se tenir à l’écart des troubles qui secouent le reste du monde arabe. 

 








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