2014-10-25 11:24:00

Charles d'Autriche, l'empereur bienhereux


(RV) C’est un des acteurs de la Première Guerre mondiale les plus mal connus : l’empereur d’Autriche-Hongrie Charles Ier, qui succède à son grand-oncle François-Joseph le 22 novembre 1916. Il semble écrasé entre la figure du vieil empereur, mari de Sissi, et son oncle, François-Ferdinand, dont l’assassinat le 28 juin 1914 précipite l’Europe dans la guerre. 

Parmi les protagonistes de la Grande Guerre, il est sans doute celui qui a le plus voulu la paix et mis en œuvre tout ce qu’il pouvait faire pour y parvenir. Malgré la brièveté de son règne – il abdique le 12 novembre 1918, au lendemain de l’armistice - il a tenu à appliquer dans son empire une politique inspirée par sa foi catholique. 

Xavier Sartre revient sur la figure de l’empereur Charles d’Autriche, bienheureux de l’Eglise catholique depuis le 3 octobre 2004, avec Jean Sévillia, journaliste au Figaro Magazine, auteur de «Le Dernier Empereur, Charles d'Autriche, 1887-1929» Perrin, 2009. 

 

Il a suffi de quelques coups de feu le 28 juin 1914 pour que le jeune Charles devienne à 27 ans l’héritier d’une des plus vieilles dynasties européennes, les Habsbourg. Mais le jeune archiduc, en attendant de succéder au vieux François-Joseph, doit d’abord accomplir son devoir et c’est pour cela qu’il part à la guerre dès le début des hostilités. Sa conviction que la paix importe plus que la victoire se forge au contact des horreurs du conflit comme nous l’explique Jean Sévillia

« En 1914, Charles part pour la guerre. Tous les membres de la maison des Habsbourg servent dans l’armée impériale et au cours de ces deux années, il sera officier. Au moment de la mobilisation, il a reçu une mission de départ par l’empereur François-Joseph, son grand-oncle, pour observer comment se déroulait la mobilisation et observer comment la guerre se déroulait pour l’armée austro-hongroise vue depuis le terrain puisque Charles était un homme de terrain. Il faisait des rapports directs à l’empereur par-dessus la hiérarchie militaire. Il a vu que cette guerre était une guerre d’un type nouveau, avec des pertes sans précédents dans l’histoire militaire humaine. Et il a très vite compris que cette guerre ne pouvait plus être gagnée par son pays et qu’il fallait faire en sorte qu’au moins, elle ne soit pas perdue.

Par ailleurs, il a compris avec beaucoup de préscience que cette guerre allait bouleverser les rapports sociaux en Europe. Il a compris que si les vieilles monarchies du centre de l’Europe- l’Allemagne, l’Autriche et à l’est, la Russie- ne se réformaient pas, elles seraient balayées. Et donc, le décret de 1916 portait deux idées qui étaient d’une part faire la paix, négocier la paix avec les alliés et d’autre part, réformer son empire. Il va être pris dans cette contradiction qui est terrible qui est de savoir si on peut faire la paix sans réformer et réformer sans faire la paix. C’est une contradiction qui va le broyer. »

Héritier du trône, fort d’avoir l’oreille de son grand-oncle, il aurait pu influencer François-Joseph et le conduire à mener une politique tendant à la paix. Mais l’empereur ne bouge pas de sa ligne et le conflit se poursuit.

« C’est une part du mystère mais Charles n’a pratiquement pas été associé aux négociations de la crise de l’été 1914 : toute la montée en puissance, l’ultimatum à la Serbie et l’avancée vers la guerre. Il n’a absolument pas été associé à ces décisions, bien qu’il soit déjà à l’époque héritier du trône depuis la mort de François-Ferdinand. On ne sait pas exactement pourquoi. Une hypothèse serait que François-Joseph ait voulu l’épargner pour en quelque sorte, préserver l’avenir. C’est possible. Pourquoi ? Parce que de toute façon, il ne pouvait pas infléchir la politique. Il y a un lien extrêmement fort qui s’est noué entre l’Allemagne et l’Autriche, militairement parlant, depuis la fin du 19°siècle et cette guerre vient renforcer cette alliance des militaires et des politiques.

L’état-major autrichien est lui-même très germanophile, dans cette logique d’alliance avec l’Allemagne, de guerre jusqu’au bout. Il y a aussi un parti belliciste important à la Cour.Du coup, Charles est assez isolé dans sa perspective qui est un rééquilibrage, chercher la paix entre les puissances en Europe. Charles est assez isolé avant même de régner. Et encore plus, quand il va accéder au trône dans ses vues d’avenir qui consiste à dire qu’il faut sortir l’Autriche de la guerre et reconstruire l’Europe sur d’autres bases.»

Son accession au trône, au plus fort du conflit, fin novembre 1916, ne change fondamentalement rien. Isolé, il ne parvient pas à imposer ses vues en matière de politique étrangère.

« Le drame de Charles pendant ce règne de 1916 à 1918, c’est qu’il a trouvé peu d’hommes, aussi bien dans l’état-major que des ministres, qui partagent ses vues. Une fois que la guerre a été lancée, c’était très compliqué de se démarquer de l’Allemagne. D’abord parce que sur le terrain, les deux dispositifs militaires austro-hongrois et allemand étaient très imbriqués. Dans l’hypothèse où on leur aurait donné l’ordre de déposer des armes, il était pratiquement de facto impossible pour les armées austro-hongroises de déposer les armes. Ils ne pouvaient pas déposer les armes, étant pris dans un système où les régiments allemands n’auraient pas déposé les armes. Donc, la marge de manœuvre de Charles était à ce moment-là extrêmement étroite.»

Maître d’un empire essentiellement catholique, fervent croyant lui-même, Charles peut néanmoins compter sur le soutien du pape Benoît XV qui désire lui-aussi amener les belligérants à se mettre à discuter autour d’une table comme nous le confirme Jean Sévillia

« Les relations entre Charles et Benoît XV sont très bonnes. Elles sont souvent passées par un nonce qui deviendra célèbre dans l’histoire, le nonce Pacelli qui deviendra le Pape Pie XII et qui pendant la guerre était nonce en Allemagne à Munich puisque la nonciature pour l’ensemble de l’empire d’Allemagne était dans le sud de l’Allemagne. Donc, ces relations étaient bonnes. Et lorsque Benoît XV a lancé son premier grand appel à tous les belligérants pendant l’été 1917, le premier et le seul chef d’Etat qui a répondu oui sans conditions était Charles d’Autriche qui était véritablement un homme de paix.»

La foi n’a jamais abandonné Charles. En même temps qu’il œuvre en faveur de la paix, il tente de réformer l’empire en pratiquant une politique inspirée par ses convictions chrétiennes en matière sociale.

« C’était un homme qui vivait sous le regard de Dieu, un homme de contemplation, d’adoration. On sent qu’il a une grande dévotion eucharistique avec une prière d’adoration quotidienne, chapelet à la main. Et donc, ce sens de la foi, ce sens de Dieu incarné dans l’eucharistie est quelque chose qu’il a porté toute sa vie. Il y avait sa piété personnelle et puis, il y a toute son action, son sens de la justice sociale puisque ça a été un empereur social avec beaucoup d’innovations sociales importantes. Le premier ministère des affaires sociales qui a été créé en Europe occidentale est né en Autriche-Hongrie par volonté de Charles pendant son règne. C’était donc un modèle de ce point de vue-là. Et puis, il avait le souci constant des plus pauvres. Il était très préoccupé par les problèmes de ravitaillement qui étaient dramatiques. L’Autriche vit sur ses propres forces et celles-ci s’amenuisaient et faisait que la situation était de plus en plus dramatique. Charles s’en souciait personnellement. C’est un dossier que Charles suivait quotidiennement. Donc, c’est un empereur chrétien mais c’est aussi un empereur social. Cette vision sociale de la société procédant de sa foi. C’est vraiment quelqu’un qui a le souci du prochain.»

Charles ne parvient pas à sauver son trône. Obligé d’abdiquer au lendemain de l’armistice du 11 novembre, il doit quitter l’Autriche avec toute sa famille. Commence alors un exil qui lui est fatal : il meurt dans le dénouement à Madère en 1922. Il n’a que trente-quatre ans. 








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