2014-11-03 15:15:00

Les ressources naturelles attisent la violence


(RV) Entretien - « Des ressources naturelles au cœur des conflits ; agir pour une législation européenne ambitieuse ». C’est le titre de l’étude publiée lundi par le Comité catholique contre la faim et pour le développement, le CCFD-Terre Solidaire. Aujourd’hui des entreprises vendent des produits qui contiennent des ressources naturelles. Et ces ressources attisent la violence et provoquent des souffrances dans de nombreux pays. Déjà mi-octobre, 70 évêques catholiques du monde entier avaient exhorté l’Union européenne à adopter une nouvelle réglementation contraignante pour les entreprises.

Guy Aurenche, est le président du CCFD-Terre Solidaire. Il évoque cette situation dramatique, les conséquences et les attentes pour y mettre fin. Il est interrogé par Audrey Radondy 

La situation est un peu particulière en France. La Communauté chrétienne en tant que telle : les diocèses, les paroisses sont globalement assez peu mobilisées sur ces questions. Je pose d’ailleurs la question au diocèse d’Albi qui accueille ces évènements : « Est-ce que quelqu’un a suivi ces évènements ? Est-ce que quelqu’un a été sur place ? » Je n’en suis pas si sur. Ce qui en dit long. Ca veut dire que ce sont des combats, des oppositions avec lesquelles les communautés chrétiennes ne savent pas très bien quoi faire, ayant peur d’être récupérées, ayant peur d’être prises dans des postures idéologiques qu’elles ne partagent pas ou dont elles ne savent pas quoi faire. Ce qui fait qu’on reste dans une prudence très grande qui n’est pas toujours celle qu’on pourrait avoir sur des questions de société, sur une usine qui ferme ou une manifestation pour décisions politiques, gouvernementales, etc. Là, les communautés sont très mobilisées sur ce genre de sujet. Il y a une prudence très forte, ce qui fait que pour l’heure, ce sont surtout des individus, des gens qui sont engagés en tant que militants dans des associations non gouvernementales ou autres qui sont mobilisées sur ces questions-là. C’est à ce titre-là qu’elles sont présentes sur le terrain.

Qu’est-ce que les chrétiens pourraient apporter justement à ces mobilisations ?

Il y a presque trente ans. en France, au moment où il y a eu de grandes manifestations d’écologistes contre le projet nucléaire du côté de Grenoble, l’évêque de l’époque, Mgr. Matagrin disait qu’il ne savait pas quoi dire par rapport au dossier nucléaire. Il a juste remarqué qu’il y avait un déficit démocratique. Il y avait des décisions qui ont été prises sans consulter les populations. Quand des gens s’opposent et disent qu’ils ne sont pas d’accord, on en fait de dangereux extrémistes ou des gens qui ne sont pas audibles. Donc, c’est un premier service que l’Église peut toujours rendre, c’est de dire « Arrêtons de nous enfermer mutuellement dans nos sociétés, dans des postures un peu stériles entre les bons et les mauvais, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Favorisons dans tous les lieux où nous pouvons les rencontres et les discussions et une bienveillance sur ce que les uns et les autres ont à dire ». La prise de conscience écologique est en train d’émerger dans le monde chrétien. Je le repère clairement depuis trente ans. On va dire que Paul VI a un peu lancé le mouvement. Jean-Paul II l’a clairement amplifié, Benoît XVI l’a validé théologiquement dans Caritas in Veritate. Maintenant, avec le Pape François qui nous annonce la sortie d’une encyclique sur ce sujet. Nos communautés ne peuvent plus faire semblant. Elles doivent maintenant devenir des acteurs importants sur ces questions. Nous ne pouvons pas dire sans cesse que nous croyons au Dieu créateur et être indifférent au sort qui est réservé à la création. L’épisode de ce bassin, de cette construction et de ces violences que nous voyons du coté d’Albi n’est qu’un épiphénomène mais c’est un épiphénomène très révélateur de ce que nous avons encore à faire pour comprendre ce qui se joue-là.

Vous avez donc parlé de l’évolution de cette prise de conscience écologique en parlant du Pape François. On voit que cette question de la protection de la nature, de l’écologie revient souvent dans ses discours.

C’est très frappant. Dans ce sens-là, il n’est pas en rupture par rapport à ce que disait son prédécesseur. Son prédécesseur avait très clairement inscrit dans la doctrine sociale de l’Église que désormais, on ne pouvait plus parler d’économie, du sens du travail, de la paix dans le monde sans tenir compte du respect que nous avons et du non-respect que nous avons pour l’environnement, la création, le monde naturel dans lequel nous vivons et qui nous est confié en tant que créature. Le Pape Benoît XVI avait bien nommé cela. Son approche était de privilégier une écologie à taille humaine. Plus nous respecterons l’être humain et plus nous respecterons la Terre et réciproquement. C’est souvent ce « et réciproquement »qui est un peu faible dans les communautés chrétiennes aujourd’hui. Et je pense qu’aujourd’hui, le Pape François souligne davantage ce «et réciproquement ». Il faut aussi que nous prenions la mesure que c’est en défendant l’environnement, les ressources naturelles, les conditions de vie, les cadres naturels de la vie des communautés que nous défendons la dignité des populations qui y vivent et tout particulièrement des plus pauvres. Je crois que c’est une spécificité du Pape François, c’est que le lien entre la défense des populations les plus pauvres et la défense de leur environnement est très fortement lié. Ce n’est pas étonnant que ça vienne de la part d’un Pape Sud-Américain parce que c’est entre autres dans ce continent-là qu’on voit les pires scandales en termes de maltraitance des populations par des industriels, des exploitants miniers ou des gens qui déforestent la forêt ou qui construisent des barrages sans beaucoup de pitié pour les gens qui y vivent.

Le Pape se prononce, même si il sait que certains vont dire qu’il est communiste. Est-ce que vous pensez que ça peut inciter les gens à prendre plus position ?

On sait que dans le monde catholique, l’encyclique a une portée très forte en termes d’autorité du texte. Une encyclique engage beaucoup plus nos communautés chrétiennes. Donc, on verra bien le contenu de cette encyclique. On a quelques idées en entendant un peu ce qu’en dit le Pape et ces représentants depuis quelques mois. Il est clair que cette encyclique aura une autorité plus grande et mobilisera plus fortement nos diocèses. D’autant plus- je parle des diocèses français- il y a l’émergence actuellement d’un réseau encore très petit, de petits groupes de chrétiens catholiques, protestants, œcuméniques, orthodoxes qui se mobilisent spécifiquement sur cette question-là avec des approches très différentes. Ces petits groupes sont en train de commencer à se connaître les uns les autres, à travailler ensemble. Et je pense que l’avènement du sommet sur le climat qui aura lieu à Paris en décembre 2015 va fédérer ses réseaux et ses mobilisations.

Vous pensez que d’ici là, ces groupes vont pouvoir prendre plus d’importance ? 

C’est surtout, est-ce qu’on va être capable d’accompagner la prise de conscience, d’aider nos concitoyens et des gens de nos communautés à dépasser un certain nombre d’aprioris ? L’écologie en France est un sujet très clivant. Entre autres parce que l’écologie politique française est très idéologisée, très marquée politiquement avec des postures qui ne rejoignent pas forcément l’anthropologie chrétienne et qui donc décourage beaucoup l’envie d’un certain nombre de chrétiens  de rencontrer la question écologique. Je pense que l’année qui vient va beaucoup décloisonner cela, va permettre d’entrer en dialogue avec les hommes et les femmes de bonne volonté là où ils sont et il y en a beaucoup. Ce sont des gens qui posent des questions essentielles sur le sens de notre vie commune, sur les valeurs que nous voulons défendre, sur ce que nous voulons laisser à nos enfants. Ce sont spécifiquement des questions des communautés chrétiennes. Il n’y a aucune raison de rester étranger les uns aux autres. On a tout intérêt à rentrer en dialogue. Ca nous redonnera de la cohérence dans nos communautés chrétiennes et ça nous montrera que l’Esprit Saint est bien à l’œuvre à travers ces questions-là. 








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