2014-11-05 08:17:00

Témoignage de Georges Sabé, frère mariste à Alep en Syrie


(RV) Témoignage - Au Proche-Orient, la ville kurde de Kobané, au nord de la Syrie, est sous le feu des projecteurs médiatiques depuis plusieurs semaines, mais la bataille ne doit pas nous faire oublier la guerre qui se joue sur de nombreux fronts en Syrie, notamment autour de la ville d’Alep, l'ancien poumon économique du pays aujourd'hui largement dévasté par les bombardements et les combats. C’est d’ailleurs le sens d’une tribune publiée ce mardi matin dans la presse internationale par le ministre français des Affaires étrangères. Selon Laurent Fabius, il faut sauver Alep. Pour lui, Bachar Al-Assad et le groupe de l’Etat islamique « sont les deux faces d’une même barbarie, visant à anéantir l’opposition modérée syrienne ».

Deuxième ville syrienne, Alep est divisée depuis plus de deux ans entre des secteurs tenus par l’armée syrienne et d’autres quartiers toujours sous le contrôle des rebelles syriens. Le frère Mariste Georges Sabé y vit depuis sa naissance.  

 

Comment vit-on à Alep aujourd'hui ?

Aujourd'hui, la situation est plutôt calme même la ville reste divisée en deux parties. On ne peut pas passer d’une partie à l’autre. Il faut faire un long trajet. Un trajet qui durait cinq ou dix minutes peut maintenant mettre onze ou douze heures parce qu’on passe d’une région à une autre : une région qui est sous le gouvernement et l’autre avec les éléments armés. Il y a des combats à l’extérieur de la ville et il y a des bombes qui tombent à l’intérieur dans certains quartiers. Avant-hier, il y a eu une bombe dans un quartier chrétien, qui est en train de se vider. Les gens ont fui ce quartier parce qu’il est la cible de plusieurs bombes et plusieurs mortiers qui tombent. Il y a une lassitude chez les gens. Après trois ans de guerre, les gens ne savent plus comment cela va aboutir ; quand et comment cela va se terminer. En plus de la peur, les gens sont fatigués. Vingt-trois heures sur vingt-quatre, nous n’avons pas de courant électrique. Nous avons passé la semaine passée sans internet. Grâce à Dieu, l’eau est revenue ! C’est un élément positif.

Vous l’avez dit, face à cette situation, beaucoup d’habitants d’Alep choisissent l’exode...

Malheureusement beaucoup de familles et beaucoup de jeunes quittent presque quotidiennement la ville. Il y a une vraie hémorragie qu’on ne peut pas et qu’on ne réussit pas à arrêter. Je crois que cette hémorragie vient aussi de la lassitude des gens puisque les horizons ne sont pas clairs. On ne sait pas où cela va aboutir. Les gens préfèrent partir dans les pays limitrophes, dans la mesure où ils acceptent de les recevoir. Le Liban pose actuellement beaucoup de difficultés pour l’entrée des Syriens au Liban. Ils ont assez de réfugiés, de déplacés syriens qui vivent au Liban. La Jordanie aussi pose encore beaucoup de problèmes. Il y a des jeunes qui essayent de fuir par des moyens qui ne sont pas très légaux vers la Turquie, la Grèce et les pays de l’Europe. En tout cas, chacun fait de son mieux pour partir. Il y a des immeubles entiers qui se sont vidés. Les gens partent et c’est le plus difficile.

Malgré la guerre, est-ce qu'il y a pas quelques motifs d’espoir ?

Malgré tout cela, je peux vous confirmer qu’il y a beaucoup de signes positifs, de signes normaux d’une vie quotidienne, c’est-à-dire les écoles qui fonctionnent, l’université qui fonctionne, les gens qui ont du travail qui se rendent à leur travail. Il y a actuellement beaucoup de fruits et de légumes, de denrées alimentaires qui arrivent. Je crois que l’aide internationale est ralentie et elle est orientée vers d’autres points chauds. Nous passons dans un moment où la Syrie n’est pas en première ligne d’importance et d’intérêt, ni pour les médias mondiaux, ni pour la politique générale. Ça fatigue les gens. Nous sommes fatigués. Non pas parce que nous avons peur ou parce que nous sommes menacés... Mais où est-ce qu’on va arriver ? Nous avons résisté pendant trois ans. Nous voudrions résister encore mais à condition d’avoir un horizon un peu plus ouvert qui nous conduise à reprendre la paix. Ce n’est pas par les armes que la solution va se résoudre. Malheureusement, les armes causent beaucoup de blessures dans les familles, chez les gens. Presque chaque semaine, nous avons un enterrement d’une personne qui nous est chère et qui est morte, que ça soit dans les combats ou dans des bombardements d’un côté ou de l’autre.

En ce moment, l’attention médiatique est plutôt concentrée autour de Kobané, à la frontière avec la Turquie. Est-ce qu’à Alep, il y a aussi la menace de l’État islamique ?

C’est une de nos préoccupations. L’État islamique est aux portes d’Alep. Pour le moment, ils ne bougent pas, ils n’avancent pas. Ils ne sont pas très loin de la ville. La partie de la ville qui est sous contrôle du gouvernement n’est pas menacée directement pour le moment. Mais dans nos têtes, cette menace existe. Il y a une peur intérieure qui fait que tous, nous nous posons la question. Vaut-il mieux partir maintenant ou bien attendre que des évènements dramatiques arrivent, nous obligeant à partir, comme ce qui s’est passé à Mossoul ?








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