2014-11-06 13:47:00

Pauvreté en France : le cri d'alarme du Secours catholique


(RV) Entretien - Le Secours catholique Caritas France a publié ce jeudi son rapport annuel sur la pauvreté en France, sous le titre « Ces pauvretés qu’on ne voit plus ». Ce document est disponible sur le site du Secours catholique. S’appuyant sur l’accompagnement de 1,5 million de personnes l’an dernier par les 65 000 bénévoles du Secours catholique, ce rapport livre des statistiques inquiétantes sur la situation sociale dans l’hexagone, avec des dossiers sur la pauvreté des hommes seuls, la précarité énergétique et les séniors précaires.

Les responsables du Secours catholique lancent aussi un double appel : l’un adressé au président de la République, François Hollande, pour lui demander l’organisation d’une conférence nationale de refondation de la protection sociale. L’autre appel est adressé à tous les Français pour que chacun se mobilise dans des réseaux d’entraide de proximité.

Cyprien Viet a interrogé Bernard Schrick, directeur de l’Action France du Secours catholique. Il évoque la proportion importante d’étrangers reçus par l’association. 

Plus du tiers des personnes que nous accueillons aujourd’hui sont des personnes d’origine étrangère. Et de fait, ce sont ceux qui sont le plus en difficulté : en difficulté sur l’accès aux ressources parce que ceux qui sont présents sur le territoire sans titre de séjour n’ont pas accès à diverses prestations sociales. Ceux qui sont présents sur le territoire et qui sont en demande d’asile et qui ont donc légalement la possibilité d’être présent sur le territoire, non pas accès au travail, pas le droit de travailler et non pas accès aux ressources que procurent le travail. L’accès au travail, au logement ou à l’hébergement de ces personnes d’origine étrangère sont vraiment en très grande difficulté.

 Vous avez des mots sur la situation morale et psychologique de la France ? Il y a des mots assez forts qu’on peut lire. On a parlé d’un délitement du lien social dans un contexte sociétal qui se durcit. Vous dites que les plus fragiles deviennent les boucs émissaires de la société. Est-ce que vous avez l’impression qu’aujourd’hui il y a un peur du pauvre ?

 On est dans une société qui est fortement interrogée par la crise, qui est fortement interrogée par la montée du chômage, qui est aussi interrogée par l’accroissement des inégalités. On est dans une société qui a peut-être du mal à se transformer ou à se réformer et la tentation de rechercher un bouc émissaire, de rechercher un coupable est forte. Assez régulièrement, quelque soit le camp politique, des hommes politiques de premier plan nourrissent ce discours de recherche de bouc émissaire. On met fortement en avant la fraude aux prestations sociales sans mettre en parallèle la fraude aux cotisations sociales. On alimente cette vindicte populaire envers le migrant ou envers la personne en difficulté. Quand on laisse entendre que le chômage serait la faute des chômeurs et non pas lié à notre incapacité à créer de l’emploi, à avoir une économie dynamique. On recherche d’abord des causes personnelles au chômage, des causes liées aux individus plutôt que des causes structurales. On nourrit cette idée que finalement, ce n’est pas notre système qu’il faut changer, c’est juste des personnes qui ne seraient pas adaptées. On essaye de lutter contre cela parce qu’il n’y a pas de solutions s’il n’y a pas de solidarité, s’il n’y a pas de partage, s’il n’y a pas de cohésion sociale. On sort d’une crise tous ensemble ou on n’en sort pas.

Vous vous adressez directement au Président de la République en évoquant une conférence nationale de refondation de la protection sociale. Quels en seraient les contours et est-ce que vous êtes lié aussi à d’autres associations dans cet appel ?

 On avait interpelé le candidat qui a finalement été l’élu. On l’avait interpelé au sein d’un collectif associatif, un collectif qui s’appelle « alerte » en lui demandant dès qu’il serait élu de demander à son gouvernement de réunir une conférence qui aurait en charge de préparer un plan global de lutte contre l’exclusion. On se dit qu’aujourd’hui, il y a aussi besoin de rebâtir- je veux à la fois dire refonder, redonner du sens  à la nécessité d’une protection sociale qui concerne tout le monde. Soixante-dix ans après la création du système, il y aurait besoin de réinterroger les risques, les besoins censés aider les personnes à faire face. Les inégalités et en termes de revenu et en termes de patrimoine étaient vraisemblablement moins forte au moment de la création de ce système. Il faut donc lui redonner du sens. Il faut lui redonner de l’efficacité, principalement pour les plus fragiles parce qu’aujourd’hui, il y a huit millions et demi de personnes en France et parmi elles, il y a trois millions d’enfants qui sont en grande difficulté, qui sont à la fois mis un peu au ban de la société et qui ont du mal eux-mêmes à se projeter  et à croire qu’ils peuvent avoir leur place dans la société. Il faut vraiment repenser le système. Et quand on parle d’une conférence, on imagine un système qui soit financé par tous, qui soit utile pour tous. C’est comme un outil de cohésion sociale qui soit le ciment du pacte social de la nation et qui soit particulièrement penser avec et en destination des plus fragiles. C’est ça le sens de l’appel au Président. C’est ça qu’on veut dire derrière le fait de réunir une conférence pour refonder un système de protection sociale fiancé par tous, utile pour tous et particulièrement les plus vulnérables.

Vous lancez aussi un autre appel mais cette fois-ci aux particuliers, à l’ensemble de la société française. Vous dites qu’il faut que chacun se mobilise pour recréer des réseaux d’entraide, de proximité pour les personnes qui vivent dans des situations de pauvreté. Qu’est-ce que ça signifie ? Au niveau du Secours Catholique, est-ce que vous avez des difficultés à créer des équipes de bénévoles. Est-ce qu’il y a une crise de l’engagement au Secours Catholique ?  

 Il n’y a pas de crise de l’engagement au Secours Catholique. On n’a pas un nombre de bénévoles à atteindre qui serait conforme à un certain nombre de missions. On est là pour éveiller à la solidarité, au partage, à l’engagement. C’est un travail qui est infini. Cet appel qu’on lance à la société, c’est parce que qu’on sent monter de la différence. Il n’y a qu’une faible partie de la population qui s’engage comme bénévole dans les associations caritatives, que ce soit le Secours Catholique ou d’autres réseaux. Mais là, notre appel va au-delà de soi. Il invite les gens à refuser la stigmatisation. Il invite tout en chacun, le simple citoyen comme l’élu, le chef d’entreprise, le responsable d’une association à se réunir, à se mettre ensemble autour de la table et à rechercher à l’échelle de la commune, à l’échelle de territoires à taille humaine, des solutions pour essayer de lutter concrètement contre la pauvreté au plan local. On sait que la pauvreté génère de l’isolement et donc, d’essayer d’unir les forces et les acteurs d’un territoire, pour se dire concrètement, sans tout attendre de la loi, sans tout attendre du développement économique, qu’est-ce que chacun peut faire, simplement à son échelle, ne serait-ce que pour prendre le temps d’accueillir, le temps d’écouter, le temps de comprendre, et le temps d’exprimer une forme de compassion au sens plein du terme, envers la personne qui est pour le moment fragilisé. On peut avoir chacun un rôle dans ce domaine-là. On est dans une double interpellation, à la fois une interpellation des autorités politiques qui ont un travail à faire mais aussi, en tant que citoyen, on doit chacun regarder ce qu’on fait de notre prochain.

 

 








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