2014-11-18 15:48:00

Le Père Philippe Blot, un prêtre au secours des Nord-coréens


(RV) Témoignage - Pas facile de savoir ce qui se passe en Corée du Nord. Ce pays ermite, enfermé sur lui-même, limitant au strict nécessaire ses relations avec l’extérieur, contrôlant celles et ceux qui entrent et qui sortent, cache jalousement la réalité des conditions de vie de la population. Malgré un régime politique dictatorial, certains Nord-Coréens parviennent à fuir et à trouver un refuge précaire et dangereux en Chine. Ce n’est pourtant pas la fin du cauchemar pour eux : Pékin est l’allié le plus proche de Pyongyang même si les deux pays entretiennent des relations complexes loin d’être paisibles. Au nom de cette alliance, les autorités chinoises ne reconnaissent aucune existence légale aux réfugiés nord-coréens, les confinant dans la clandestinité et les contraignant à une vie misérable. Sans ressources, ils vivent d’expédients, de mendicité, et pour les femmes, de la prostitution. D’autres tombent entre les mains de trafiquants d’organes ou de proxénètes.

Leur seul espoir est de parvenir en Corée du Sud ou d’être accueillis dans un autre pays. Mais pour cela, ils doivent sortir de Chine, c’est-à-dire échapper à la surveillance de la police chinoise et surtout, échapper aux sbires du régime nord-coréen qui ont toute latitude pour les ramener chez eux, de gré ou de force.

Leur sort est passé sous silence ou ignoré par le plus grand nombre. Mais pas par un prêtre des Missions Etrangères de Paris, le père Philippe Blot. Originaire du diocèse de Bayeux-Lisieux, il vit en Corée du Sud depuis vingt-quatre ans. En temps ordinaire, il travaille dans la grande périphérie de Séoul dans un centre pour de jeunes adolescents et étudiants. Il se rend également dans un centre des autorités sud-coréennes où transitent des réfugiés nord-coréens.

Mais le père Blot mène une autre mission. Deux fois par an, il organise le passage d’un groupe de réfugiés nord-coréens du nord de la Chine où ils se trouvent en majorité, au sud du pays, pour les faire passer au Laos puis en Thaïlande. Un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, à travers toute la Chine, dans la clandestinité, pour tenter de sauver du pire quelques dizaines de personnes.

Xavier Sartre a rencontré à Séoul le père Blot qui lui a raconté cette extraordinaire odyssée.

L'aventure de ces Nord-Coréens ne s’arrêtent pas dans ce pays d’Asie du Sud-Est. Ils essaient dans un premier temps d’obtenir un statut de réfugié avant de demander l’asile politique dans un autre pays. La Corée du Sud est bien sûr leur destination de prédilection. Mais une fois arrivés sur place, ils doivent passer un certain nombre d’épreuves et surtout, se réhabituer à une vie qui leur est complétement étrangère.

C’est cette nouvelle aventure que le père Blot raconte à Xavier Sartre 

C’est complètement différent. Plus les années passent et plus la Corée du Nord devient malheureusement un pays complètement différent. Les jeunes Sud-Coréens parlent maintenant de la Corée du Nord comme s’ils parlaient du Laos ou du Vietnam. Ils n’en parlent malheureusement plus comme si c’était leur pays. Il y a soixante ans, c’était un seul pays. Et donc, le régime, l’éducation, la manière de penser sont tellement différents, ce qui fait que s’intégrer et s’insérer dans la société coréenne n’est pas facile, même si la langue est pareille. Il y a pas mal de Nord- Coréens qui vivent en Corée du Sud. Leur plus grande difficulté, c’est ce qu’on appelle la solitude. Ils sont dans une solitude terrible parce que ce n’est pas leur pays. Ils sont nés en Corée du Nord, pas en Corée du Sud. Ils n’ont pas toute leur famille. Certains disent qu’ils ont du mal à trouver un sens à leurs vies, même s’ils ont le ventre plein, s’ils vivent dans les libertés et qu’ils peuvent aller prier. Ils ont du mal à trouver un sens à leurs vies s’ils n’ont pas leur famille avec eux. Ils se sentent même un peu coupables de pouvoir vivre en liberté alors que leurs compatriotes, le reste de leurs familles vivent dans la famine, vivent sans libertés. Il y a donc aussi un complexe de culpabilité. Ils ont du mal à vivre cela tous les jours.

Un réfugié Nord-coréen, lorsqu’il arrive en Corée du Sud, il est transféré dans un centre, au port d’Incheon. Là, ils font le tri pour savoir s’il y a des espions Nord-coréens parmi eux, si les gens sont clairs ou pas clairs, s’ils sont nets ou pas nets. Ils voient si ce sont vraiment des Nord-Coréens qui ont des raisons pour être passés en Chine. Il y a un travail d’espionnage entre la Corée du Sud et la Corée du Nord qui est incroyable et c’est énormément dangereux. Et ensuite, après deux mois, une fois que la sélection est faite, ils vont dans le centre d’Hanawon. J’y vais une fois par mois pour dire la messe. Vous allez me dire : « Pour dire la messe mais ils ne sont pas chrétiens ! » Mais simplement parce que la plupart d’entre eux, quand ils étaient en Chine, ont été aidés soit par des Églises protestantes de Corée du Sud (ils ont donc été aidés par des protestants, des gens qui croient en Jésus-Christ) ou alors par des bouddhistes ou des catholiques. Ils viennent en Corée et il faut créer des liens. Dans ce centre d’Hanawon, il y a trois cents Nord-Coréens qui sont divisés tous les dimanches. Il y en a environ une centaine au service protestant avec un pasteur protestant. Ensuite, il y en a soixante-dix pour les bouddhistes et nous, on en a à peu près septante- quatre-vingts. Le but, c’est de prier pour eux, de parler avec eux et de créer des liens parce que dans trois mois, ils partiront. On les lâchera dans la nature. Et c’est là que tout se joue. Pendant ces trois mois, on leur apprend surtout ce qu’est la vie, à vivre en liberté en Corée du Sud. Même si on a de l’argent, il faut quand même économiser. Si on a 50.000 wons dans sa poche, on ne va pas aller au magasin tout dépenser parce que sinon, il ne nous reste plus d’argent pour prendre le train. Il faut qu’ils apprennent à gérer leur argent. Il faut aussi qu’ils apprennent à être libres et à créer des contacts pour ne pas être tous seuls.

C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup de temps. C’est le travail que je fais. Moi, quand je vais dans ce centre de réfugiés-là, je prends surtout contact avec les jeunes qui n’ont pas pu venir avec leurs parents ou leurs familles et qui sont tous seuls.

Quand ils vont partir, ils n’auront pas d’endroit où aller. S’ils ont le profil pour venir dans notre maison, je leur propose d’y venir. Je leur présente un peu notre maison. On parle entre nous et puis, s’ils veulent, ils peuvent venir à la maison Saint-Jean, Saint-Jacques ou Saint-Pierre. Il y a des Sud-Coréens et c’est une chance pour eux car ils s’insèreront beaucoup plus facilement dans la société en vivant avec eux.  Leur malchance, c’est de venir sans leurs familles mais leurs chances, c’est de vivre avec des Coréens du Sud qui auront le même âge, qui parleront mieux le coréen parce que le langage des Coréens du Nord n’a pas vraiment évolué. Par exemple, il n’y a pas de mots anglais alors qu’en Corée du Sud, on en utilise beaucoup. Un jeune Coréen du Nord qui commence à aller à l’école a du mal à comprendre le professeur de Corée du Sud parce qu’il y a un problème de vocabulaire. Au contraire, un jeune qui va venir dans nos structures, va vite s’insérer davantage parce qu’il vit avec des jeunes de son âge. Le but est aussi d’offrir à ces jeunes qui n’ont nulle part où aller, une famille. Les éducateurs et les éducatrices qui sont dans nos maisons, jouent le rôle de la maman ou du papa. La plupart des jeunes qui sont chez nous sont heureux. Tout n’est pas rose tous les jours puisqu’ils pensent beaucoup à ceux qui sont restés là-bas mais ça va.

Est-ce qu’ils réussissent à trouver un sens à leurs vies ?

Les jeunes y arrivent quand ils ont une amitié. Notamment ceux qui ont des amies à partir de 15, 16, 17 ans, ça va les épanouir, les équilibrer. Ils vont trouver un sens à leurs vies en ce sens de dire que c’est peut-être avec cette fille-là qu’ils vont vivre en Corée du Sud. Ça va leur donner un poids.

Et en même temps, il y a ce qu’on appelle la foi. On va leur faire connaître Jésus puisque ce sont des structures catholiques. On leur apprend à connaître Dieu, on leur parle de Dieu. Souvent, c’est la plupart d’entre eux qui demande le baptême. Ça les aide parce qu’ils savent que la foi va leur permettre de dépasser les frontières et de prier pour ceux qui sont restés là-bas. Ils savent que Dieu va les aider, plus qu’ils ne l’imaginent et ça va un peu les soulager. Eux, ce qu’ils ne peuvent pas faire, Dieu va pouvoir le faire. Et cette foi que Dieu leur donne à travers les structures dans lesquelles ils sont accueillis leur est d’une grande aide.

Vous êtes soutenu par l’église catholique coréenne ?

Bien évidemment, par notre diocèse, notamment les évêques et puis les prêtres. J’adresse un grand merci aux prêtres, notamment à Kumpo ou il y a au moins trois ou quatre paroisses catholiques. Les curés sont main dans la main. Je leur parle quand j’ai des problèmes. Par exemple, je pars l’année prochaine pour aller chercher une trentaine de Nord-Coréens. Je suis revenu il y a un mois. Je n’ai plus d’argent. Je suis revenu les poches vides parce que je donne tout ça pour les gens. Maintenant,  si j’ai de gros problèmes et si je n’arrive pas à recueillir le nombre d’argent suffisant pour prendre le nombre suffisant de personnes, je vais très vite aller les voir. D’ailleurs, ils me posent la question de savoir si je vais pouvoir conduire ces 35 personnes au mois de janvier. Si tu ne peux pas, tu viens et tu dis une messe. Les curés coréens savent qu’ils ne peuvent pas y aller eux directement donc ils font cela par notre intermédiaire. Et là, il y a une solidarité qui est très belle et je remercie les curés coréens qui vivent dans notre doyenné et qui nous aident. 

 

 








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