2014-12-04 19:21:00

Le problème de la corruption en Espagne est-il structurel ?


(RV) Entretien - En Espagne, les scandales à répétition ne cessent d’éclabousser la classe politique, tous partis confondus. Dernier en date : un système de pots-de-vin découvert au sein du Partido Popular (PP) actuellement au pouvoir, qui a conduit la ministre de la Santé à démissionner du gouvernement Rajoy fin novembre.

La succession de ce genre d’affaires fait le jeu de nouvelles formations politiques, comme le mouvement de gauche « Podemos » (« nous pouvons ») qui, si des élections étaient organisées aujourd’hui en Espagne, recueillerait le maximum de voix, selon les derniers sondages. Dès lors, le problème de la corruption en Espagne est-il structurel ou conjoncturel ? Eléments de réponse avec Sylvia Desazars de Montgailhard, politologue et déléguée générale de la Fondation ESSEC, interrogée par Jean-Baptiste Cocagne.

Le problème que nous avons en Espagne, est un problème de corruption qui est lié, de mon point de vue, à une loi qui a été approuvée en l’an 2000 qui s’appelle la loi du sol (la ley del suelo). C’est une loi qui permettait aux conseils municipaux ou aux maires de transformer 15% du foncier de la commune en constructible. C’est-à-dire que les maires rendent constructible une partie trop importante de leur foncier. Ensuite, les caisses d’épargne financent les constructions. Vous retrouvez des maires ou des conseillers municipaux ou des membres des familles des conseillers municipaux dans les conseils d’administration des caisses d’épargne et elles-mêmes sont liées aux constructeurs. Donc, un système endogame où tout le monde se sert au passage, qui crée d’une part la bulle immobilière et qui provoque un gigantesque système de corruption, notamment des partis politiques. Sans doute que la corruption la plus visible, la plus spectaculaire (puisqu’il s’agit de milliards), c’est celle qui s’est développée en Andalousie, dirigée depuis toujours par la gauche où là, on utilise des fonds européens pour rémunérer des personnes selon de faux contrats de formation continue.

Est-ce qu’il n’y a pas aussi un manque de législation concernant les sanctions pour ceux qui sont impliqués dans ces scandales ?

Ce n’est pas tellement un problème de législation, c’est beaucoup plus un problème de son application. Un des problèmes institutionnels les plus graves de l’Espagne, c’est la lenteur de la justice. L’instruction dure des années. Quand on voit par exemple le scandale de Monsieur Madoff aux États-Unis, c’est quand même un montage financier extrêmement sophistiqué qui a dû être expliqué par l’instruction. Ca s’est fait en trois mois. Nous avons maintenant des personnes qui entrent en prison dont l’instruction a commencé en 2005. Donc, il faudrait vraiment réformer la justice et lui donner les moyens d’être plus efficace et d’agir plus rapidement et que les citoyens n’aient pas ce sentiment d’impunité qui choque épouvantablement et qui donne naissance à des mouvements comme Podemos.

Podemos, justement, la formation politique née autour du mouvement des Indignés, est actuellement en tête des intentions de vote dans les sondages alors que se profilent des élections générales en Espagne l’an prochain. Est-ce que pour vous, le mouvement Podemos est crédible politiquement parlant ?

Podemos est arrivé sur la scène politique trois mois avant les élections européennes. C’est assez facile de faire une percée aux élections européennes. Il suffit pour l’Espagne d’avoir 54 noms sur une liste et de faire une bonne campagne. C’est une autre chose que de gagner des élections législatives ou même des élections municipales ou des élections régionales où il faut mailler l’ensemble du territoire et avoir des listes dans tous les cantons, les communes, les régions, etc. Donc, ça, c’est quelque chose que Podemos n’a pas encore. Podemos n’a pas encore d’appareil politique et d’appareil partisan qui couvre le territoire. Où se situe Podemos actuellement ? C’est le grand débat. Podemos est en train de modérer son discours et de dire « Non, nous ne sommes pas à l’extrême-gauche ou à la gauche du parti communiste comme le Parti socialiste et le PP (Parti Populaire) essayent de nous situer. Mais nous sommes en fait des socio-démocrates comme dans les pays nordiques ». Ils évitent de prononcer le mot de « gauche ». Pourquoi ? Parce qu’ils savent que le vote espagnol se situe en ce moment au centre gauche et que c’est à ces électeurs-là qu’il faut s’adresser. Le problème, c’est que les scandales de corruption continuent. Tous les jours, il y en a un nouveau. Donc, tout dépend de savoir si c’est la crainte ou le dégoût qui vont l’emporter. Si le dégoût l’emporte, c’est le dégoût provoqué par la corruption et Podemos a un grand avenir devant lui. Si la crainte de voir une gauche radicale alternative déguisée en social-démocratie l’emporte, ça peut être un feu de joie qui s’éteint. 

 

 








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