2014-12-10 08:24:00

« Beaucoup de musulmans ont le désir de rencontrer les chrétiens »


(RV) Parmi les participants au récent pèlerinage d’une soixantaine de pèlerins du diocèse de Lyon auprès des réfugiés irakiens à Erbil figurait le père Christian DelormeActuellement curé de Caluire et Cuire, dans l’agglomération lyonnaise, ce prêtre est connu pour son engagement pour le dialogue islamo-chrétien depuis une quarantaine d’années, notamment dans les banlieues.

Dimanche, alors que prenait fin ce pèlerinage, devant la cathédrale Saint-Joseph d’Erbil, il a livré à Cyprien Viet son impression sur les troubles qui agitent le monde musulman et leur retentissement sur les relations islamo-chrétiennes en France.

En France, dans leur ensemble, les musulmans sont très inquiets de ce qui se passe à l’intérieur du monde musulman. Et l’immense majorité d’entre eux rejette profondément cette image de l’Islam, cette réalité de l’Islam que donne Daesh. Donc, il n’y a pas d’ambigüité du tout. On les a entendus se prononcer contre le terrorisme. Mais en même temps, je crois que le monde musulman est traversé de courants de pensées, de situations de violence comme jamais dans son histoire et que cette violence là blesse d’abord le monde musulman, mais elle a aussi des effets chez les autres et, aujourd’hui, les chrétiens d’Orient en sont les premières victimes.

En France, tout le monde est désarçonné, bouleversé par le fait que de nombreux Français fassent partie des tortionnaires de Daesh. Est-ce que vous avez une explication à ce phénomène ?

Je n’oserai pas apporter trop vite des explications. Ce qui est sûr, c’est que la France et la Belgique, ce sont des pays d’où sont partis beaucoup de jeunes puisqu’on parle d’un millier de jeunes partis de France, quelque 500 jeunes partis de Belgique et plusieurs d’entre eux sont des gens qui ne viennent pas de l’Islam. Ce sont des gens qui ont peut-être été baptisés et là, on est complètement déroutés. Ça montre qu’il y a dans nos pays toute une jeunesse complètement déroutée qui n’a pas de référence ou qui n’a plus de référence et qui est prête à partir dans des idéologies folles et sanguinaires. Vous savez, on a connu ça autrement dans les décennies précédentes. Vous avez des jeunes qui sont partis aussi dans Action directe, dans les brigades rouges, dans la Fraction Armée Rouge en Allemagne. Ce sont un peu les mêmes phénomènes de nihilisme, un mélange de besoin de servir à quelque chose et en même temps, on ne croit plus dans les sociétés. On veut tout casser, tout brûler, tout détruire.

On entend quelque fois un discours assez violent par rapport à la présence musulmane en France. Certains disent « Attention, vous allez vous faire dévorer. Vous ne vous rendez pas compte de ce qu’ils vont vous faire. Vous allez être pris en otage ». Comment expliquez-vous ce discours et comment trouver une solution à ces blocages ?

C’est un discours ancien. C’est vrai que très souvent, on a des chrétiens d’Orient qui nous disent « Vous ne vous rendez pas compte. Vous avez maintenant une très forte population musulmane en France. Vous allez connaitre les mêmes difficultés, voire les mêmes drames que ceux que nous avons connus ». C’est vrai qu’il faut écouter les chrétiens d’Orient. D’abord au niveau de ce qu’ils ont vécu, leurs souffrances. La vie avec le monde musulman n’a jamais été facile, contrairement à ce qu’on raconte quelque fois. On va rentrer en 2015 dans l’année du centenaire du génocide arménien et assyro-chaldéen. Donc, c’est une histoire très douloureuse. Donc, je crois qu’il faut entendre ce que les chrétiens d’Orient nous disent. Mais en même temps, nos réalités sont différentes. En grande partie parce qu’en France, l’immense majorité des musulmans vient du Maghreb et que l’islam du Maghreb est un islam différent de celui de l’Égypte, de l’Irak. On peut dire que les gens d’origine algérienne, d’origine marocaine et tunisienne sont des gens qui sont porteur d’un islam qui a déjà une longue expérience de la République, même sous le joug colonial. On n’est pas du tout dans le même cas de figure. On n’est pas dans le cas de sociétés tribales, claniques. On est avec des gens qui, en réalité, sont déjà dans la société des individus.

Dans le monde catholique, il y a une très forte islamophobie qui se développe, qui apparait notamment sur les réseaux sociaux, dans des blogs. Ce phénomène s’est évidemment aggravé depuis l’été dernier. Comment y remédier et est-ce que des initiatives se développent pour que des gens qui ont des a priori négatifs sur l’Islam puissent cheminer plus en confiance et sortir de cette peur qui, finalement, paralyse tout le monde ?

Heureusement, il y a un certain nombre d’initiatives qui se déroulent en France mais ce sont des petites choses. Aujourd’hui, beaucoup de musulmans dans les mosquées ont le désir de rencontrer des chrétiens, de discuter avec eux. Mais ils ne trouvent pas non plus beaucoup d’interlocuteurs en face. Et puis, dans les situations de crise, il y a toujours le risque que les gens se replient sur eux-mêmes. Ce que je crois surtout, c’est qu’il faut regarder la réalité de notre société. C’est vrai qu’on est très marqué par les difficultés dans les banlieues parce qu’il y a des ghettos de misère, des dizaines de milliers de jeunes qui sont sans occupation. Chez certains d’entre eux, il y a la rage voire la haine. C’est vrai qu’il y a tout ça. Mais il y a aussi une réalité de l’intégration que souvent, on ne voit pas. L’immense majorité des musulmans en France est complètement intégrée dans le sens où elle est complètement inscrite dans le fonctionnement de la société française. On ne voit plus ces musulmans-là. Il y a les musulmans visibles et les musulmans invisibles. Les musulmans invisibles sont de beaucoup les plus nombreux. Ils sont tellement invisibles qu’ils participent complètement à la vie de notre République et ils ne remettent pas du tout en cause la paix sociale chez nous. 








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