2015-01-03 19:33:00

L'évêque de Cayenne mis d'office à la retraite en Guyane


(RV) Entretien - Nouvel épisode dans les relations compliquées entre le président du Conseil Général de Guyane et le diocèse local. A Cayenne, depuis 1828 et un décret pris par le roi Charles X pendant la Restauration, les prêtres sont rémunérés par les autorités publiques françaises. Aujourd'hui, le président du Conseil Général Alain Tien-Liong estime que cette situation n’a plus lieu d’être et a suspendu unilatéralement l’an dernier le versement des salaires à 28 prêtres.

Le tribunal administratif lui a donné tort ce lundi mais Alain Tien-Liong a pris une autre décision : mettre à la retraite d’office l’évêque du diocèse de Cayenne Mgr Emmanuel Lafont, à partir du 1er janvier 2015. Lequel accueille cette annonce avec philosophie et sérénité, insistant sur la nécessité de changer la situation. Il est interrogé par Jean-Baptiste Cocagne.

C’est une décision du président comme tel et du Conseil Général. Il n’a consulté personne. Il m’a mis à la retraire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ca veut dire qu’à partir du premier janvier, il ne me donne plus aucune rémunération alors que je faisais partie des cadres, donc, j’avais une rémunération du Conseil Général qui normalement, doit durer jusqu’à ma retraite officielle, c’est-à-dire jusqu’à 75 ans. Il s’est aperçu il y a quelques mois que j’avais 69 ans, que les fonctionnaires prennent leur retraite à 65 et donc, il a déclaré qu’il me radiait de tout service de rémunération. Il y a à peu près six semaines, j’ai reçu un arrêté du président du Conseil Général me disant qu’à partir du premier janvier, j’étais mis à la retraite d’office. C’est un arrêté administratif. Il est vrai que je pourrais le contester, retourner au tribunal administratif pour le faire annuler parce qu’il n’a pas le droit de faire cela mais en réalité, je n’ai pas l’intention de le faire. J’accepte cette situation. C’est-à-dire qu’à partir de maintenant, je recevrai ma rémunération du diocèse et je recevrai une rémunération identique à celle des prêtres.

Quelle est votre réaction ? Dans quel état vous êtes aujourd’hui ?

Je suis très calme et confiant parce que je crois que la situation dans laquelle nous étions, à savoir être rémunérés, pour la plupart d’entre nous, par le Conseil général est une situation qui doit évoluer. Je pense qu’il faut aller vers la suppression tranquille de cette situation mais en prenant notre temps, parce que vous imaginez bien qu’au niveau d’un diocèse qui a un budget annuel d’ 1.500.000 euros, c’est très peu. Je ne pourrais pas prendre tout de suite en charge la rémunération de 26 prêtres. Il faut d’abord que je me retourne vers les catholiques pour qu’ils prennent en charge, de manière beaucoup plus substantielle, la vie de l’Église, non seulement la rémunération des prêtres mais la vie des Églises qui grandit parce qu’entre le moment où j’ai été nommé et le moment où je quitterai, le nombre de personnes en Guyane aura doublé, même plus que doublé. On sera passé de 200.000 à plus de 500.000. Et donc, je dois construire des Églises, je dois rénover un certain nombre d’Églises, un certain nombre de presbytères. Nous sommes dans un chantier énorme. La rémunération des prêtres, c’est juste une partie. Le fait que les prêtres étaient payés par le Conseil Général  faisait que pour la majorité des catholiques, l’Église n’avait besoin de rien puisque les prêtres étaient payés. Maintenant, nous sommes aux pieds du mur. Et au fond, je m’en réjouis parce que je pense qu’il est temps, en prenant quelques mois ou deux ou trois ans, que les catholiques se rendent compte que comme tout le monde, c’est à eux de faire vivre leur Église. Je pense que nous allons aller vers cela et j’ai confiance que Dieu va nous aider à faire en sorte que les catholiques se disent « notre Église, c’est à nous de la faire vivre ».

Est-ce que vous avez l’impression que les consciences sont prêtes à un tel changement parmi les fidèles catholiques ?

Pour beaucoup, non, je ne pense pas. Les mentalités ne peuvent changer, si j’ose dire, que lorsqu’on est au pied de la montagne. Et donc, tant que le Conseil Général rémunère les prêtres, les gens continueront de se dire « on n’a pas besoin de notre argent ». C’est une mentalité qui n’est pas très saine. Ca vaut autant pour la rémunération des prêtres que pour la vie de l’Église toute seule. Figurez-vous qu’il y a trois ans, à la demande et en concertation avec les évêques des Antilles, j’ai instauré le casuel. Jusque là, les chrétiens ne donnaient aucune offrande à l’occasion d’un baptême ou d’un mariage ou d’un enterrement. Ils ont commencé par dire : « Mais comment ça se fait ? Pourquoi cela ? Qu’est-ce que pense l’évêque ? ». Aujourd’hui, la majorité d’entre eux sont conscients que c’est quelque chose de normal.

Le président du Conseil Général veut changer la situation. Vous-même, vous semblez dans une démarche de conciliation. On a l’impression que vous êtes tous d’accord mais qu’on se retrouve dans une situation étonnante.

Oui, c’est vrai mais je crois qu’il a voulu faire de cette affaire quelque chose d’assez personnel. Il a voulu être celui qui a mis fin à une situation, tout à fait anormale à ses yeux. Il l’a fait d’une façon assez abrupte. C’est ce que je regrette. Mais effectivement, qu’on prenne le temps de faire cela autrement, je ne suis pas du tout contre. D’ailleurs, il le savait très bien. C’est une décision qu’il dit lui-même être autant politique qu’économique. Même si le Conseil Général a des difficultés économiques- je les connais, je les conçois-sa décision est davantage une décision politique. Il faut savoir qu’autour de lui, il y a des personnes qui ne sont pas forcément de notre côté. Il y a des personnes des différentes confessions évangéliques qui considèrent que c’est anormal que le clergé catholique soit rémunéré alors qu’eux-mêmes n’ont rien. C’est un peu tout cela qui a du joué autour de lui.

Mais alors, quelle est l’issue possible désormais selon vous ?

Écoutez, moi j’ai tendu la main depuis le début. Quand il s’agit d’une révolution personnelle, je les abandonne. Je ne vais pas retourner devant le tribunal administratif une troisième fois. Et puis, je suis entrain de préparer la communauté catholique à une prise en main progressive de la vie de l’Église. Pour le reste, étant donné que le tribunal administratif a jugé selon le droit, qu’il le veuille ou non, les prêtres vont continuer d’être rémunérés et lorsqu’il y aura une nouvelle assemblée puisque nous sommes dans une période de transition au niveau institutionnel, le Conseil Général va disparaitre d’ici maintenant 10 ou 12 mois. Il sera remplacé par une nouvelle collectivité unique. Pour vous dire, j’ai déjà pris un certain nombre de contact pour que progressivement, cette chose s’amenuise et disparaisse.

 








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