2015-01-13 17:29:00

Quelle est la situation politique et militaire au Sri Lanka ?


(RV) Entretien - Voyage du Pape François au Sri Lanka. Ce mercredi, après la grande messe de canonisation du missionnaire Oratorien, Joseph Vaz, le pape se rendra en hélicoptère en zone tamoule, dans un sanctuaire national où prient les srilankais hindous ou catholiques... C’est la première fois qu’un Pape se rend dans ce sanctuaire marial malmené par la guerre. Menacé par les bombardements, il a abrité un camp de réfugiés durant la guerre civile.

Le conflit s’est achevé il y a 5 ans sur les cendres d’une dernière bataille d’une violence inouïe. En 2009, lors du dernier mois de guerre entre le gouvernent cinghalais de Colombo et les Tigres séparatistes de l’Eelam Tamoul, 40 000 tamouls ont été tués. 140 000 selon l’évêque de Mannar qui affirme que les activistes armés n’ont pas été correctement comptabilisés. A l’issue de la guerre, 280 000 tamouls vivaient dans des camps.

Aujourd’hui, cinq ans plus tard, comment vivent-ils ? Pourquoi l’armée occupe-t-elle encore massivement le nord du pays, l’ancienne zone de guerre où vit la majorité des Tamouls ? Delon Madavan est géographe, rédacteur en chef de Sri Lanka & Diasporas.

 

A priori, l’idée, ce serait sans doute une sorte de mise sous tutelle de la région septentrionale qui est considérée comme celle qui est la moins intégrée et celle qui est peut-être la plus rebelle par rapport au gouvernement de Rajapaksa. On  a finalement cette impression qu’il faut vraiment contrôler cette population et les précédentes élections présidentielles ont bien montrées que la population tamoule avait voté en masse contre Rajapaksa. Je pense que c’est cette défiance qu’on essaye de contrôler.

Qu’est-ce que suppose cette présence de l’armée ? Ca veut dire des patrouilles partout ou des camps militaires ? De quelle manière « assoient-ils leur autorité » ?

Partout dans la région du Nord, vous avez des camps qui posent de nombreux problèmes, notamment en ce qui concerne le retour d’un certain nombre de personnes qui avaient été déplacées à cause de la guerre, aussi bien des tamouls que des personnes musulmanes parce que finalement, l’armée a exproprié un certain nombre de tamouls ou refusent de rendre des terres à des tamouls. Cela a aussi des incidences économiques parce que les territoires qui ont été expropriés ou qui sont occupés par l’armée sont finalement utilisés à des fins économiques. Les productions qui en sont tirées sont revendues à des prix défiants toute concurrence. Ce qui pose un problème pour les agriculteurs ou les investisseurs tamouls qui ne peuvent pas faire face à la concurrence de l’armée. Ensuite, par rapport à la commémoration, les tigres avaient un rite de commémoration, une journée des héros commémorant les martyrs tamouls. Et c’est vrai qu’à la fin de la guerre, ca a été interdit aux tamouls. Il y a eu plusieurs altercations et plusieurs emprisonnements, notamment d’étudiants de l’université de Jaffna qui tendent les relations entre les forces de sécurité perçues comme forces d’occupation. L’actuel président de la province nord du Sri Lanka l’a officiellement dénoncé par rapport aux violences qui sont commises, notamment contre les femmes.

Comment cela se manifeste t’il ?

Il y a plusieurs rapports d’Human Rights Watch, d’Amnesty International qui dénoncent toutes les violences commises à l’encontre des femmes, notamment celles qui se retrouvent un peu isolées du fait que leur mari a disparu ou qui est mort pendant le conflit mais également des viols à l’encontre  des femmes et des mineurs. Vous avez aussi de nombreuses arrestations ou des pressions contre les personnes qui sont jugées hostiles au régime, aussi bien des proches d’anciens combattants séparatistes que des militants des droits de l’homme.

Pour revenir à la question foncière, on sait qu’à la fin de la guerre, 280.000 tamouls ont été enfermés dans des camps. Malgré ces expropriations, est-ce qu’ils ont quand même pu revenir dans le nord du pays ?

Pas tous. Dans certains cas, il y a d’autres populations qui se sont réinstallées dans les terrains que ces personnes-là occupaient. Des cinghalais ont été installés. Et là se posent les problèmes de titre de propriété. Avec la guerre, certaines personnes ont parfois tout perdu. Les repères qu’on avait utilisés pour délimiter les terrains ont été bouleversés par la guerre avec toutes les destructions.

Les déplacés qui n’ont pas pu regagner leur maison, est-ce qu’ils sont toujours dans des camps ?

Certains sont dans des camps. On pense à ceux qui ont été internés dans les camps de détention de 2009. Il y avait déjà plusieurs centaines milliers de déplacés civils qui étaient déjà dans plusieurs autres camps depuis des années voire des décennies. Donc, finalement, il y a plusieurs vagues qui reviennent en même temps dans le nord. C’est ce qui explique aussi la difficulté de régler ce problème.

Cela veut-il dire qu’ils sont quand même retournés dans les villages, dans les villes où ils habitaient auparavant ?

Oui, quand ils ont pu. Après, il y a aussi une question économique. Ils n’ont pas pu aller dans la capitale ou à l’étranger. Ils essayaient quand même avec les réseaux de solidarité sur lesquels ils peuvent vraiment s’appuyer. C’est tout naturellement dans leurs villages ou dans leurs villes d’origine où ils peuvent s’appuyer sur leurs familles ou éventuellement, les solidarités confessionnelles, notamment les Églises.

J’imagine que ça doit être difficile de lutter contre l’armée ou ceux qui gèrent les dossiers de propriété ou contre les autorités locales pour justement récupérer leurs terrains et leurs maisons ?

En effet, la situation est d’autant plus complexe que même certaines agents gouvernementaux qui finalement voulaient aider en priorité ces déplacés à être installés ont été démis de leur fonction et remplacées par des personnes plus proches du gouvernement et de l’armée qui eux, finalement, appliquaient la politique ou les demandes du gouvernement.

Vous êtes en train de parler  d’une véritable politique de colonisation cinghalaise organisée depuis Colombo ?

Oui, dans certains cas, c’est avéré et c’est aussi la perception qu’ont les tamouls de la politique actuelle. Il y a ce sentiment qu’on est un peu abandonné et qu’il n’y a pas vraiment de possibilité de se défendre. Par rapport à ces problèmes de pouvoir se réinstaller dans ces terres, il y a plusieurs milliers de tamouls qui ont poursuis en justice différentes institutions pour essayer de réclamer leur droit à pouvoir se réinstaller chez eux.

Est-ce qu’il y a quand même, malgré tout, de la part du gouvernement - ne serait-ce que pour des motifs politiques et d’images - une volonté de faire la lumière sur ce qu’il s’est passé, sur les massacres qui ont eu lieu ?

C’est justement l’un des grands griefs des tamouls parce que finalement, il y a un véritable refus de la part de Rajapaksa mais également de Sirisena de reconnaître les torts et d’accepter qu’il y ait un tribunal international indépendant qui statuerait sur les éventuels crimes de guerre qui auraient été commis pendant la bataille finale en 2009. Il y a eu une sorte de commission interne sri-lankaise. C’est un peu difficile, en particulier pour les tamouls d’avoir confiance en un tribunal où les accusés seraient à la fois juges et partis. Une des promesses de Sirisena, c’est de garantir qu’il s’opposerait à l’établissement un tel tribunal international pour juger ce qu’il considère du côté nationaliste cinghalais des héros de guerre. De l’autre côté, la majorité des tamouls considèrent qu’il y a eu beaucoup de crimes de guerre voire pour certains, un véritable génocide.

Du coup, de la part des autorités cinghalaises, il n’y a pas de mea culpa ne serait-ce qu’au niveau politique, au niveau de la scène internationale,  pour une question d’image, sur ce qui a été fait fin 2009 et de volonté affichée de vouloir réconcilier la nation ?

Volonté de punir les coupables, pas du tout ! Le discours officiel est plutôt de dire au mieux que c’est trop tôt pour faire ce devoir de retour sur ce qui s’est passé. Il y a plutôt un certain chauvinisme qui transparait. Les deux candidats se sont vraiment présentés comme des héros de la guerre, notamment pendant la bataille finale : Rajapaksa en tant que président, chef de l’armée. Sirisena était quand même le ministre de la défense pendant les deux dernières semaines particulièrement meurtrières de la bataille finale. Donc, il n’y a vraiment pas de mains tendues et de travail qui a été fait vers la réconciliation. On a plutôt assisté durant ces dernières années à des attaques contre les autres minorités, en particulier les musulmans et également les chrétiens en zone cinghalaise. Donc, non !

 

 








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