2015-02-09 15:03:00

Charlie Hebdo : Paris en plein choc de civilisations ?


(RV) - Entretien -  C‘était il y a près d’un mois. Dimanche 11 janvier 2015, quelque 4 millions de personnes défilaient à Paris et dans plusieurs villes de France. Une marche républicaine, en présence d’une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, après des attaques meurtrières. La France venait de vivre trois jours d'horreur, du mercredi 7 au vendredi 9 janvier.

Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi pénétraient dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, au cœur de la capitale, armés de kalachnikovs pour « venger le Prophète ». Le lendemain, Amedy Coulibaly tirait sur une policière à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine, avant d'organiser, 24 heures plus tard, une prise d'otages à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris.

Bilan de ces attaques : 17 morts et un véritable traumatisme au sein de la société française. Une société qui a donc réagit en se rassemblant, toutes classes sociales et religions confondues, pour rendre hommage aux victimes, dire non au terrorisme, et défendre la liberté d’expression.

Ces attaques ont par ailleurs fait apparaitre sous un jour nouveau la menace djihadiste. Et, comme ce fut le cas juste après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, certaines voix se sont élevées évoquant « un choc des civilisations ». Ce n’est pas l’avis de Joseph Maïla, directeur de programme au sein de l'ESSEC, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Islam, ancien recteur à l'Institut Catholique de Paris. Il évoque en revanche une crise au sein de l’islam. Des propos recueillis par Hélène Destombes.

 

Je ne pense pas qu’il y ait un choc des civilisations. Mais que l’on dise effectivement qu’il y a dans ces éléments d’affrontement, de confrontation violente, un élément de culture, cela me parait extrêmement évident et indéniable. Il ne s’agit pas de se cacher derrière son petit doigt et de dire ce terrorisme est anodin, il se fait au nom de considérations uniquement économiques ou politiques. Non, il revendique son caractère distinctif et culturel. Il se réclame de l’Islam et donc, il y a là une vraie question quand la religion devient une arme pour l’idéologie politique, quand elle est interprétée dans le sens d’une idéologie de confrontation, quand des éléments de croyance sont considérés comme des éléments non seulement de conviction mais d’une foi qu’il s’agit d’imposer par la force. Alors, on est effectivement dans un usage totalement débridé, incontrôlé du religieux.

Ce détournement de la pensée religieuse, comment s’est-il opéré au sein de l’Islam et pourquoi ?

Ce qu’il faut d’abord constater, c’est qu’au fond, cet islam qui depuis la fin du 19°-début du 20° siècle est entré par le biais de nombreux penseurs dans une voie de réforme et d’adaptation n’a pas connu une conclusion sur un plan politique qui puisse le cadrer avec des nations démocratiques et modernes. Il a toujours été couplé avec des situations autoritaires dans lesquelles il a été exploité, soit par ceux qui dirigent ou par ceux qui contestent l’autorité politique comme précisément, une arme contre la légitimité de ce pouvoir. Très tôt, on a vu, par exemple, un mouvement comme les « Frères Musulmans » se constituer à partir de 1929, et qui se sont posés en un autre modèle de civilisation dans lequel on pouvait emprunter des éléments de fondement du social au religieux. C’est un premier temps. Est venue se greffer une autre question que l’on voit aujourd’hui se profiler dans des attentats comme celui dont la France a malheureusement été récemment le théâtre, et qui est l’opposition à l’Occident. Et effectivement, un Islam d’opposition au colonialisme s’est mis en place. Il contestait bien entendu la domination politique et économique mais il contestait surtout la domination culturelle. Et donc, le raisonnement de ces partis islamistes qui vont devenir bientôt des partis violents, c’était de dire que ce que l’Occident nous impose, ce n’est pas seulement sa loi économique et politique mais au fond, ce sont aussi ses valeurs.

C’est en ce sens que vous parlez d’une problématique dans le rapport de l’Islam à la modernité ?

Oui, voilà. C’est une des problématiques. En islam, il y a plusieurs courants. Il peut y avoir un courant libéral. On l’a vu entre les deux guerres : les politiques qui se sont installées en Égypte, en Syrie, en Irak et qui ont connu des périodes tout à fait parlementaires. Puis, il y a une période nationaliste qui était plutôt nationaliste laïque. On pense à des partis comme le parti Baas qui se fondait sur l’idée qu’il y avait une nation arabe qui était fédérée plutôt par la langue que par la religion. Et puis, tout change avec cette révolution islamique qui vient d’Iran, qui instaure un régime extrêmement fort, bâti sur une perspective chiite de pouvoir et qui va, en quelque sorte, encourager dans le monde arabo-musulman des éléments à penser une révolution politique inspirée par l’Islam. Il ne faut pas oublier aussi le rôle que jouent des guerres comme l’Afghanistan. A partir de là, on va avoir une prolifération de ces mouvements qui vont essaimer et qui de retour chez eux, vont être à l’origine de contestations à l’intérieur du pouvoir et des groupes qui se sont institués, qui ont disséminé, qui ont basculé dans une violence djihadiste planétaire. Donc, on va aboutir à une espèce de révolte du monde musulman, en particulier sur ce désordre qui touche d’abord les populations musulmanes mais ne touche pas que des populations musulmanes. Il faut aussi le rappeler.

Est-ce que l’on peut, aujourd’hui, parler d’une crise au sein de l’islam ?

Oui, sauf à dire que cette crise en est une, dans la mesure où l’islam se cherche mais où l’islam aussi se vit de manière plurielle. Il y a des islams violents et on a vu les situations auxquelles on a affaire dans certains pays qui ont connu des guerres civiles à partir de ses oppositions. On voit un islam asiatique qui est beaucoup plus paisible dans certains endroits et qui s’organise. On voit des recherches qui se font, notamment en Europe et qui vont dans le sens de l’herméneutique coranique, ou bien de la recherche d’une exégèse historique, pour essayer de mettre le texte dans son contexte historique à l’époque et c’est vrai que parmi les trois monothéismes, l’islam est la religion dans laquelle une grande partie des écoles importantes politico-théologiques, mais théologiques aussi, font le pari, pour reprendre le terme de Bossuet, que l’on peut tirer une politique des écritures et effectivement, cet islam n’a pas connu, ni la réforme ni la contre-réforme ni des évènements aussi importants et fondateurs que Vatican II ni ce qu’a connu aussi le judaïsme dans ses formes libérales en contestation de l’ultra-orthodoxie. Et donc, cet islam reste sur le plan théologique et sur le plan dogmatique un petit peu monolithique. Mais dire que l’islam est en recherche, c’est une vérité. Dire que l’islam n’avance pas, c’est une erreur parce qu’il y a des choses qui se font, il y a des adaptations qui se font. Donc, un vrai débat qui est initié et dont on peut espérer effectivement qu’il pourra avancer. 








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