2015-02-24 18:43:00

Oxfam veut dire stop à la spéculation sur les matières premières


(RV) Entretien - Le 20 novembre dernier, le Pape François s’exprimait à Rome devant les participants de la seconde conférence internationale sur l’alimentation, au siège de la FAO, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, des Nations Unies. Il avait notamment déclaré que « malheureusement, la lutte contre la faim et la malnutrition est souvent bloquée par la priorité du marché et la dictature du profit, qui réduisent les aliments à une marchandise sujette à la spéculation ». Cette spéculation dénoncée par le Pape, certaines banques y participent. C’est ce que dénonçait en 2013 l’ONG Oxfam France qui avait alors interpellé les groupes bancaires concernés ainsi que le gouvernement français.

Deux ans après, l’organisation a fait le point dans une étude de suivi et d’évaluation des engagements pris alors par les établissements bancaires. Le constat est sans appel : malgré les promesses des financiers comme des responsables politiques, les banques spéculent toujours sur la faim et propose toujours des produits financiers qui jouent avec les cours des principales matières premières agricoles.

Cette situation doit changer à l’heure où la sécurité alimentaire n’est toujours pas assurée pour des millions de personnes sur la planète, comme l'explique à Olivier Bonnel Clara Jamart, responsable du plaidoyer sécurité alimentaire à Oxfam France et auteure de ce rapport.

Il y a eu des progrès de la part de certaines banques. Le Crédit Agricole a notamment cessé toute activité spéculative sur les matières premières agricoles. Par contre, on a toujours trois grandes banques françaises qui continuent de spéculer sur les matières premières agricoles : ce sont BNP Paribas, la Société Générale et le groupe BPCE, Banque Populaire et Caisse d’Epargne via Natixis. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Quand on fait le total sur le montant des fonds indiciels qui sont aujourd’hui gérés par les banques françaises, on arrive à plus de 3 milliards et demi d’euros. C’est donc considérable. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Il faut que les banques ferment l’ensemble de ces fonds indexés sur les coûts des matières premières agricoles et assument leur part de responsabilité dans la volatilité des prix alimentaires mondiaux. Il faut aussi que le gouvernement joue enfin son rôle de régulateur.

Selon vous, il n’y a pas assez de volonté politique ?

Il y a deux ans, au moment de la réforme bancaire, les parlementaires avaient adopté trois amendements qui sont aujourd’hui trois articles de loi. Un an et demi après le vote de cette loi bancaire, on constate que ces trois articles de loi ne sont toujours pas appliqués. Donc, effectivement, on constate que le gouvernement ne va pas assez vite, n’est pas très pressé de jouer ce rôle de régulation pour améliorer la transparence des marchés dérivés de matière agricole mais aussi limiter les spéculations. En outre, François Hollande n’a clairement pas tenu ses promesses de campagne. Il  nous avait dit en 2012 qu’il interdirait les produits financiers toxiques qui ne servent qu’à enrichir les spéculateurs et ne servent en rien l’économie réelle. Pour nous, les fonds indexés sur les coûts des matières premières agricoles souffrent de cela et sont toujours très largement distribués par les banques françaises.

Quels sont les recommandations principales que vous faites dans ce nouveau rapport ?

On recommande aux banques de fermer l’ensemble des fonds indexés sur les coûts des matières premières agricoles qu’elles continuent de vendre aujourd’hui. C’est une première chose. Mais on en appelle aussi aux politiques. On demande à l’autorité des marchés financiers d’appliquer la loi bancaire française, tout simplement. Et puis, on demande à Michel Sapin de tenir les engagements de campagne de François Hollande et d’interdire l’utilisation de ces produits financiers toxiques que sont les fonds indiciels sur les coûts des matières premières agricoles. Je pense qu’il faut continuer à parler du sujet. Il faut continuer à dire que c’est un sujet qui est extrêmement important parce qu’il a des impacts sur le droit à l’alimentation de centaine de millions de personnes dans le monde. Il y a toujours une personne sur neuf qui souffre de la faim aujourd’hui. On ne peut pas l’oublier, même si aujourd’hui, on est loin et que l’on voit cela de loin. Il faut constamment rappeler, que ce soit aux acteurs privés ou aux acteurs publics qu’ils doivent assumer leur responsabilité. Et je pense que s’il y a autant de réticences aujourd’hui, à la fois des acteurs financiers et de la part de l’État, c’est que tout simplement cette spéculation dans les matières premières agricoles permet de générer du profit.

On sait que cette année aura lieu la conférence de Paris sur le climat qui génère énormément d’attentes. On sait évidemment que « climat » et « alimentation » sont intrinsèquement liés. Est-ce que vous êtes optimiste concernant une avancée sur ce thème des spéculations sur les matières premières avec ces objectifs politiques fixés, notamment la Conférence de Paris ?

Effectivement, « climat » et « alimentation » sont liés. On sait aujourd’hui que l’impact du changement climatique sur les agricultures du monde et notamment sur les agricultures familiales et paysannes des pays du Sud est dramatique. Donc, on travaille beaucoup sur cette question et le changement climatique est un des facteurs qui explique aujourd’hui la hausse et la volatilité des matières premières agricoles tout comme la spéculation excessive. Donc, on essaye de travailler sur l’ensemble des facteurs, des causes profondes de la faim dans le monde aujourd’hui. Et effectivement, je pense que les questions agricoles devraient être un sujet central des négociations climatiques. Pour l’instant, elles ne le sont pas. Je ne suis pas sûre qu’elles le seront au moment de la COP21 mais peut-être qu’elles le seront à la COP22 à Marrakech en 2016. 








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