(RV) Nouvelle vague de peur pour les populations chrétiennes de Syrie : les djihadistes de l’Etat islamique ont attaqué deux villages chrétiens (assyriens), Tal Chamiram et Tal Hermoz, tous deux sous contrôle des forces kurdes dans le Nord-Est du pays, dans la région de Hassaké, non loin de la frontière avec la Turquie. Peu d'informations sont connues mais selon certaines sources, entre 60 et 100 personnes ont été prises en otage.
Dans un communiqué, l’Œuvre d’Orient a réagi en déclarant que « cette horrible situation rappelle l’urgence d’une neutralisation rapide du Daesh en Syrie comme en Irak. Ces actes terroristes montrent la nécessité d’aboutir rapidement en Syrie à des solutions efficaces pour mettre fin à ce conflit qui a trop duré. La responsabilité de la communauté internationale est clairement engagée » estime l'ONG.
Manuella Affejee est parvenue à joindre au téléphone Mgr Jacques Behnan Hindo, l’évêque syro-catholique d’Hassaké. Il revient sur le contexte de cet enlèvement et dénonce quelques faits dérangeants.
Que savez-vous de cette attaque de l'Etat islamique dans la région d'Hassaké
?
Daesh, qui est aux alentours d’Hassaké, à l’Est de la rivière Khabur, tient la montagne
d’Abd al-Aziz. Ils ont commencé par le premier village, Chamiram, puis ils ont pris
onze villages sur la rive Ouest du Khabur, de Chamiram jusqu'à Tel Hermoz. Nous savons
qu’à Chamiram, ils ont encerclé à peu près une trentaine de familles. Un autre petit
village, Tal Jazeera, a aussi été encerclé. Il y a une trentaine de familles qui ont
été déportées vers la montagne. Ils ont pris à peu près tous les villages. Les gens
ont fui. Ils ont brûlé l’église de Tel Hermoz. Hier (lundi), nous avons eu toute la
journée les gens qui venaient, à bord d'un tracteur ou de tout ce qu’ils trouvaient
comme véhicule de fortune. Nous avons à peu près une centaine de personnes qui sont
arrivées hier midi ainsi que toute la journée. Il y en a autant qui se sont réfugiées
dans les villages vers l’Est. À Hassaké elle-même, les gens sont reçus et ils ont
été logés, dans les églises ou dans les maisons. Les choses vont un peu mieux. Seulement,
il y a cette peur, cette crainte.
Les gens que vous avez vu fuir vous ont-ils raconté comment cela s’est
passé ? Pourquoi est-ce qu’ils ont enlevé ces chrétiens ? Est-ce que ce sont tous
des chrétiens ? Est-ce qu’ils demandent quelque chose ?
Nous savons que tous les villages occupés maintenant
sont des villages assyriens. Donc ils sont tous chrétiens. Ils avaient déjà émigré.
Pourquoi ? Apparemment parce que de temps en temps les djihadistes venaient faire
des incursions, demandant qu’on enlève les croix et ainsi de suite. Mais cette fois-ci,
ils ont décidé de mettre la main sur ces villages-là et peut-être, peut-être, attaquer
Hassaké. En septembre, j’avais écrit une lettre à sa Sainteté, à Obama, à Rohani en
Iran, à Poutine et au président de Chine, leur demandant d’intervenir pour combattre
les terroristes en Syrie. J’avais même lancé un SOS avant Noël parce que Daesh commençait
à perdre un petit peu de terrain en Irak. Aujourd'hui, ils viennent s’installer dans la Mésopotamie syrienne. Maintenant, ils sont
aussi en train de perdre le nord d’Alep. Ils sont en train de s’installer dans notre
région. Dans cette région, il y a maintenant un nombre énorme de « Daeshiens ». Daesh
est au Nord, à peu près à 7 km d’Hassaké, 5-7 km de Kahtanieh et des autres villes
le long de la frontière turque. Cela pose un sérieux problème parce qu’ils peuvent
attaquer en grand nombre. Nous, les chrétiens, les Kurdes et les Arabes, nous sommes
à peu près un million et demi de personnes. En plus, il y a 300.000 réfugiés des zones
de Raqqa et autres, qui sont maintenant dans la région d’Hassaké, Kameshli et ailleurs.
On n’aura pas de refuge. Comme on sait que Daesh a une dent contre les Kurdes, tous
les Kurdes sont massacrés. Elle a une dent contre les chrétiens sauf que les chrétiens
ont trois alternatives : devenir musulman, payer la dîme ou bien, partir. Mais où
? La situation commence vraiment à être très dangereuse.
Vous êtes évêque à Hassaké. Combien de chrétiens reste-t-il ? Quelle est
la situation au quotidien sachant que la menace djihadiste se fait de plus en plus
pressante ?
Nous étions trois évêques. L’évêque syriaque orthodoxe
est aujourd’hui en Europe depuis six, sept mois. Nous restons donc deux évêques :
moi-même, syrien catholique et l’évêque assyrien. C’est sa communauté qui trinque,
c’est cette communauté qui souffre. Nous souffrons tous avec elle. Nous devons être
à peu près 120.000-130.000 habitants chrétiens dans la région, éparpillés un peu partout.
La majorité est à Hassaké et à Kameshli. Il y en a pas mal qui ont émigré. Depuis
quatre ans que la guerre dure, il y a à peu près 20-25% qui ont émigré. On ne peut
vraiment pas avoir un chiffre exact parce que tous les jours, il y a des familles
qui émigrent. La seule voie, c’est par avion, de Kameshli à Damas pour pouvoir partir
ailleurs. Et même pour tout, il faut aller à Kameshli : pour prendre l’avion et sortir
de ce blocus que nous avons tout autour de nous. Au Nord, la Turquie a tout fermé,
absolument tout fermé. Elle laisse seulement passer les camions, les « Daeshiens »,
les troupes de Daesh, le pétrole volé à la Syrie, le blé, le coton. Tout cela peut
passer la frontière mais personne ne peut passer.
Quel est l’état d’esprit des chrétiens qui restent, de cette communauté
dont vous êtes le pasteur ?
Tout le monde est très mal à l’aise. Depuis Noël,
on était beaucoup plus tranquilles. Daesh était à 17 km, ils n’avançaient pas. Tout
allait bien dans la ville parce que c’était calme. Mais depuis hier, on sent que Daesh
peut à tout moment franchir facilement ces 17 km. À chaque fois que nous avons un
problème, le nombre d’émigrés augmente. Maintenant, par exemple, quand cela sera fini
- je l’espère d’ici demain, parce que les Kurdes se renforcent pour aller les combattre
- vous verrez après cela les avions qui seront remplis de chrétiens, de Kurdes. Tout
le monde fuit. Les gens ont peur, c’est absolument normal. Surtout que Daesh a une
tactique, une stratégie : elle envoie la peur, la terreur devant elle. Les gens fuient
cette terreur. D’ailleurs, ce qui m’exaspère, c’est quand je vois les télévisions
en Occident qui ne font que diffuser des égorgements et toutes les exécutions possibles.
Ils les diffusent toute la journée. Nous aussi, on les voit et puis, tout le monde
a peur. Chacun dit : « je ne veux pas être égorgé, je ne veux pas être brûlé vif
».
Vous êtes donc encerclés, sous pression islamiste. Est-ce qu’il y a quand
même une quelconque aide humanitaire qui arrive à vous parvenir ?
Il y a une chose que je voudrais dire : la Croix Rouge
aide, fournit de l’argent au Croissant Rouge. Or, le Croissant Rouge ne donne absolument
rien aux chrétiens. Hier, il y a eu le Croissant Rouge, UNHCR, etc, qui se sont baladés
devant les télévisions, qui ont parlé comme s’ils avaient aidé les gens. Or, ils n’ont
distribué, même pas une livre syrienne. Jusqu’à maintenant, le Croissant Rouge n’a
rien donné aux chrétiens, et ce depuis quatre ans (ndlr : le début de la guerre).
Je l’ai dit sur une grande chaîne arabe et là, je vous le dis aussi. Il faut que la
Croix Rouge le sache. Il faut qu’il le sache. Ici, les responsables sont tous des
Frères musulmans ou apparentés. Je le dis à voix haute parce que cela m’exaspère et
me révolte.
Alors de qui provient l’aide que vous recevez ?
Par exemple, de l’Œuvre d’Orient, du Vatican, de la
Congrégation orientale. Sinon, la Croix Rouge ne donne rien puisqu’elle donne tout
au Croissant Rouge et le Croissant Rouge, ici, ne distribue même pas un milliardième
de ce qu’il reçoit, rien aux chrétiens.
Que se passe-t-il par exemple, lors d’une grande distribution, si une personne
s’avance et dit qu’elle est chrétienne ?
À chaque fois qu’un chrétien se présente chez eux,
ils disent « rien ». Tandis que nous, à l’Église, Caritas, etc, nous donnons
aux chrétiens, aux musulmans, à tout le monde. Eux ne donnent rien.
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