2015-02-28 15:41:00

Comment se finance l'Etat islamique ?


(RV) Prises d’otage massive, épuration ethnique, vandalisme : les exactions commises par l’Etat islamique semblent sans fin et sans limite. Les chancelleries occidentales sont mal à l’aise face à la stratégie à adopter : l’intensification des bombardements, les livraisons d’armes aux forces kurdes, au gouvernement de Bagdad, et aux groupes rebelles de l’opposition dite modérée, ne suffisent pas à renverser les rapports de force.

Les djihadistes ont perdu certaines localités, comme la ville emblématique de Kobané près de la frontière turco-syrienne, mais intensifient leurs exactions dans d’autres régions, dans une logique d’épuration ethnique. Les ressources du territoire occupé par l’Etat islamique lui donnent maintenant une autosuffisance financière qui lui épargne le besoin de recourir à des mécènes comme c’était le cas à ses débuts.

Loretta Napoleoni, professeur à la London School of Economics, est une spécialiste du financement du terrorisme. Elle apprécie les appels du Pape François à un règlement pacifique du conflit, et considère qu’il faut donner une place à la négociation, en retissant des liens avec les tribus sunnites en Irak et en Syrie pour les désolidariser de l’Etat islamique. Elle explique comment ce mouvement terroriste a pu se transformer en quasi-Etat, dont l’influence idéologique rayonne maintenant sur des réseaux djihadistes répartis sur plusieurs continents.

Quelle est l'évolution du financement de l'EI ?
Au début, les financements étaient officiels, institutionnels. Maintenant, ils viennent de sponsors privés parce que la situation a complètement changé : il s’agit d’un territoire, d’une région très grande, d’une dimension égale à la France et qui est totalement autosuffisant. C’est-à-dire qu’il n’a pas besoin des financements des autres pays ou des institutions comme avant 2012.

On sait que le pétrole, notamment qui est extrait des zones de Syrie et d’Irak occupés par l’État islamique, part en Turquie, en Jordanie. Ça paraît quand même surprenant. Ces États n’ont pas les moyens de bloquer tout simplement, de faire un embargo sur le pétrole qui sort des zones tenues par l’État islamique ?
Le pétrole est très important mais l’eau et la production agro-alimentaire sont également importantes. Ce n’est pas possible de bloquer le commerce illégal du pétrole parce que ce commerce a lieu dans une région qui est en guerre, et l’État islamique vend beaucoup de pétrole dans le sud de la Syrie qui est sous le régime Assad. Je pense que bloquer ce commerce est maintenant impossible.

Donc il y a des contacts commerciaux entre le régime syrien et les zones tenues par l’État islamique ?
Oui, bien sûr. Il y a aussi un contact commercial entre le régime irakien et l’État islamique pour le commerce agro-alimentaire parce que maintenant, l’État islamique se trouve dans le nord de l’Irak qui est la région la plus importante pour la production agricole. C’est une situation très compliquée de dépendance économique, dans une région qui est très grande.

Peut-on dire que l'EI est « réellement » un État ?
Ce n’est pas un État au sens européen mais c’est un État parce qu’il fait de la gestion nationale comme un État réel. Il y a une administration, une bureaucratie, qui sont différentes de la section militaire. Il y a une politique pour la population locale, une politique sociale. Ce n’est pas un État comme les Talibans en Afghanistan. C’est un État moderne, pragmatique. Ils veulent créer un État très homogène. C’est un modèle nouveau et peut-être est-ce un modèle qu'ils vont appliquer à d’autres régions de la péninsule arabique. Mais ils veulent faire un Etat seulement sunnite. Ce n’est pas possible d’avoir une multiculturalité, et je pense que la population va considérer la gestion de l’Etat comme une gestion dictatoriale. C’est le problème de cet État.

On peut s’imaginer que ce sera de toute façon un État en guerre permanente puisqu’aucun autre État de la région, pas même les monarchies du Golfe, ne sont prêtes à le reconnaître officiellement ?
Je pense que les États du Golfe ne vont pas le reconnaître. L’État islamique, c’est le califat. C’est-à-dire qu’il est plus important, qu’il a plus de pouvoir que tous les autres États. Dans la tradition islamique, le calife a le pouvoir religieux mais aussi le pouvoir politique. Ce n’est pas possible pour l’Arabie Saoudite de concevoir une telle chose, ni pour le Qatar ou le Koweït. Non. Je crois qu’il représente une très grande menace et que l’objectif de l’État islamique est de recréer complètement la carte politique de la région.








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