2015-03-03 17:21:00

Les migrants, «nouvelles couleurs» des Églises du Maghreb


(RV) Entretien - L’aéroport de Tripoli, en Libye, a été bombardé mardi par les forces loyales au général Khalifa Haftar. Les raids sont la réponse à l’attaque des miliciens de Fajr Libya contre un terminal pétrolier. Aucune de ces opérations n’a fait de victimes.

Le général Haftar a été nommé lundi à la tête de l’armée loyale au Parlement reconnu par la communauté internationale et siégeant à Tobrouk, dans l’Est du pays. Ce parlement a annoncé le même jour qu'il reprenait sa participation au dialogue politique parrainé par l'ONU, une semaine après l'avoir suspendu.

Le pays, dont la situation sécuritaire s’est fortement dégradée ces dernières semaines, est dirigée par deux parlements et deux gouvernements rivaux, dont un seul est reconnu à l’étranger.

La Libye est au cœur des préoccupations du Pape François, comme l’explique à Antonino Galofaro Mgr Paul Desfarges, l’évêque de Constantine et Hippone, en Algérie, et membre de la Conférence Episcopale de la Région du Nord de l’Afrique (CERNA) en Visite ad Limina cette semaine. Ainsi que les conséquences sur les migrants, au centre de drames réguliers en mer Méditerranée.

« La situation des migrants est vraiment un grand drame, un drame humain et spirituel grave : des gens qui quittent leur pays parce qu’ils ne peuvent plus vivre, ils ont faim, il n’y a pas de travail, parce que la liberté n’est pas assurée. Et après, ils sont pris dans des trafics mafieux, des femmes dans des situations impossibles, des enfants qui naissent.

Ce que nous voudrions dire et ce que nous avons dit au Saint-Père, c’est que maintenant, on a des migrants qui restent dans nos Églises,  qui prennent place dans nos pays et certains dans nos Églises parce qu’il y a des chrétiens, que ce soit au Maroc - qui d’ailleurs a fait un pas pour régulariser la situation d’un certain nombre de sans-papiers - et on sent qu’en Algérie, le nombre de migrants qui vont probablement rester et qui vont chercher à s’installer, grandit.

Et donc, nos pays deviennent des pays d’immigration et ça donne aussi une nouvelle couleur à notre Église. Quand ils rejoignent nos lieux de rencontre ecclésiale, églises ou rassemblements, enfin, ils se retrouvent eux-mêmes. Ils recommencent à exister en ce qu’ils sont et à retrouver un peu de dignité. C’est la première chose que nous leur offrons, de sentir qu’ils sont des personnes humaines dignes d’être écoutées, de parler, de participer à quelque chose.

Quelle est la situation des migrants qui arrivent en Algérie, chez vous ?

Ceux qui arrivent en Algérie, chez nous, viennent par Tamanrasset, par le sud où il y a beaucoup de migrants. Après, ceux qui veulent quitter l’Algérie, vont dans la région d’Oran puis à la frontière marocaine, cherchent à rentrer au Maroc et rejoignent l’Europe à travers les enclaves de Ceuta et Melilla. Le Pape a eu une parole forte : « Mais l’Europe se ferme ? Comment est-il possible que l’Europe se ferme à ce point ? ».

Et c’est tout l’enjeu de votre Église dans ces pays, c’est une Église qui a « beaucoup de couleurs », comme vous l'avez dit ?

Oui, c’est une Église de plus en plus internationale. Depuis quelques années, nous avons un renouvellement important de nos Églises, de nouveaux permanents venant davantage de l’Afrique subsaharienne, chez les pères blancs, dans les communautés religieuses. On a de nouvelles communautés religieuses africaines qui s’installent. Il y a nos étudiants subsahariens. Dans tous nos pays, nous avons beaucoup d’étudiants qui sont un peu l’essentiel de nos paroisses. Ce sont eux qui portent le témoignage au milieu de la jeunesse. On a des milliers de chrétiens au milieu des étudiants, que ce soit au Maroc, en Algérie, en Tunisie.

Et comment rêver que nos partenaires musulmans, musulmanes, rencontrent des chrétiens de plus près qu’à travers ces jeunes ? Notre rôle d’Église est de les accompagner, de les aider à passer d’une certaine confrontation, parce que ce n’est pas toujours facile, quand ils arrivent à une relation de compréhension qui peut aller jusqu’à l’amitié, la fraternité. Dans certains de nos pays, nous accueillons quelques personnes venant de familles de tradition musulmane, de familles musulmanes qui, à travers un chemin  très unique, très particulier, très surprenant, un songe, un évènement dans leur vie, un appel intérieur, demandent à connaitre Jésus et après un certain processus de discernement, d’accompagnement, deviennent disciples du pays.

C’est quelque chose de neuf. Et je peux dire qu’une évolution se fait dans nos pays. Je parle de l’Algérie mais aussi de la Tunisie. Il y a une certaine acceptation que de fait, cette réalité existe. On sent difficilement un certain progrès, et ça dépend un peu des pays, de la liberté de conscience. Maintenant, en Algérie, on a un ministre des affaires religieuses qui dit, “quand cela existe, cela existe” ! Donc le Saint-Père a une salutation, un bon mot aussi pour ces nouveaux disciples, enfants de nos pays.

Le dialogue interreligieux est-il maintenant plus facile ?

Sur le fond, nous sommes des Églises pour des peuples musulmans à très grande majorité. Et dans le concert mondial d’aujourd’hui, dans les difficultés du monde d’aujourd’hui, nos Églises portent un témoignage, le témoignage du vivre-ensemble. Nous faisons l’expérience. Nous ne disons pas que nous croyons au vivre-ensemble, nous le vivons. Et je crois, dans tous nos pays du Maghreb, notre bonheur, c’est ce vivre-ensemble. Et il se passe quelque chose dans le vivre-ensemble où les uns avec les autres, dans un chemin d’humanité, dans la rencontre fraternelle qui peut aller jusqu’à l’amitié, on devient plus humain les uns avec les autres.

Je ne dis pas que c’est facile. Il y a des épreuves et parfois, c’est douloureux. Mais le lien humain, la force du lien humain est plus forte que ce qui pourrait être des divisions religieuses. Alors, c’est là que je dis que nous témoignons que le vivre ensemble, non seulement est possible mais il existe, il est là. Ne nous laissons pas prendre par ceux qui parlent d’un choc des civilisations qui fait que l’on ne peut pas s’entendre, que ce n’est pas vrai. Si, c’est vrai ! Au Maghreb, venez voir, venez vivre avec nous, venez visiter nos Églises, vous verrez que c’est vrai que l’amitié, la fraternité, la solidarité entre chrétiens et musulmans est vraie !

Dans le discours que le Pape vous a remis, il dit espérer voir se réaliser certaines aspirations à une plus grande liberté et favoriser une plus grande liberté de conscience. Au niveau du pays et dans votre diocèse, où est-ce qu’on en est dans cette envie de plus grande liberté ?

On a certainement du chemin à faire mais certes, un chemin se fait vers une plus grande liberté de conscience. Dans notre pays, l’Algérie, dans mon diocèse, il est possible que des Algériens, des Algériennes reçoivent le baptême. C’est dans la discrétion, dans l’humilité. Ce n’est pas contre les musulmans, ce n’est pas contre l’Islam. C’est par fidélité à un appel intérieur pour un plus grand amour plus universel, c’est souvent cela. C’est souvent un chemin d’épreuves, un chemin de croix mais un chemin qui se passe et qui peut se passer.

On sent aussi que quelques-unes des personnes qui sont mises dans la confidence, finalement, acceptent ou reconnaissent, non sans souffrance, que celui qui est devenu disciple vit quelque chose de vrai et on le respecte à ce titre-là. Je voudrais ajouter que le Saint-Père nous a appelé une “Église aux périphéries”.Je suis heureux qu’il ait retenu ce terme. C’est un terme qu’il affectionne mais c’est vrai, Mgr Claverie avait parlé d’une “Église sur les fractures”, “dans des lieux de fractures”. Nous sommes dans un lieu de périphérie mais où ils se passent de belles rencontres qui sont pleine d’espérance.

Vous savez que nous avons remis au Saint-Père le texte d’une lettre pastorale que nous avons rédigé ensemble, toute la Cerna, tous les évêques de nos quatre pays. Nous avons mis trois, quatre ans pour le rédiger. Nous l’avons remis au Saint-Père et nous l’avons appelé “Serviteurs de l’espérance”. Quand on lui a remis le texte, le Saint-Père nous a dit : “Ce titre me plait parce que parfois, on oublie trop l’espérance. C’est tellement important”. Voilà, je crois que nos Églises portent un témoignage d’espérance. »








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