2015-03-24 17:03:00

L'écrivain Jean d'Ormesson se mobilise pour les chrétiens persécutés


(RV) Entretien - L’écrivain Jean d’Ormesson, membre de l’Académie française et ancien directeur général du Figaro, a marqué les esprits il y a quelques semaines en lançant un appel vibrant pour la défense des chrétiens d’Orient et contre le silence des élites politiques et médiatiques en France.

Son appel semble avoir porté ses fruits.

Il n’est plus le seul à s’exprimer sur le sujet. Avec d’autres personnalités du monde politique, comme Alain Juppé, Michel Rocard ou Robert Badinter, ou du monde intellectuel comme Jacques Julliard et Michel Onfray, Jean d’Ormesson a cosigné une pétition relayée par l’hebdomadaire Marianne dénonçant notamment le fait que la communauté chrétienne d’Irak, une des plus anciennes du monde et qui se sert encore de l'araméen, la langue de Jésus, soit la proie de persécutions violentes.

Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé qu’il présiderait personnellement le 27 mars, une réunion de Conseil de sécurité de l’Onu consacrée à la défense des chrétiens d’Orient et des autres minorités mises en danger par les groupes djihadistes en Irak et en Syrie.

Cyprien Viet a interrogé Jean d’Ormesson, qui salue ce début de mobilisation, tout en s’inquiétant de la montée en puissance de l’État islamique, dont la barbarie n’est plus cachée mais au contraire mise en scène en jouant sur des ressorts de communication très modernes.

Ce massacre des chrétiens avait commencé en Irak il y a déjà quelques années, et il me semble que les réactions avaient été très faibles. Il m’a semblé que ces malheureux chrétiens étaient abandonnés, et la situation a évidemment énormément empiré depuis lors. Le mal s’est étendu de l’Irak à la Syrie, à tout le Moyen-Orient, à la Libye et à l’Égypte, à l’Afrique. Je vois maintenant qu’il y a même eu des problèmes avec des chrétiens en Inde ou en Indonésie. Donc, il y a un mouvement très fort contre les chrétiens et il me semble qu’il fallait défendre les chrétiens non pas plus que les autres mais au moins autant que les autres minorités. Ce que j’ai dit à propos des chrétiens, je le dirai aussi à propos des Yezidis qui sont aussi poursuivis. Mais il me semble qu’il y a quand même maintenant une sorte de mouvement de prise de conscience qui se fait. Nous avons tous été des juifs allemands. Nous avons tous été derrière les résistants contre Staline. Nous avons tous été pour Charlie. Je crois qu’il est bien temps que nous soyons tous des chrétiens d’Orient.

Cette année, on a quand même un peu senti un décalage entre la très forte mobilisation suite aux attentats de Charlie Hebdo et du supermarché casher et une certaine ignorance sur la situation du Nigéria, de l’Irak, de la Syrie. Peut-être qu’on ne peut pas voir ce qui se passe ou peut-être qu’on n’est pas bien informé. Est-ce que c’est aussi ce regard des Français sur le reste du monde qui pose problème, ou qui posait problème jusqu’à récemment ?

Bien sûr, vous savez que le fait que les chrétiens soient maintenant victimes de beaucoup de persécutions a été souligné par plusieurs livres et les réactions ont été plus faibles qu’à l’occasion de Charlie. Avec Charlie, les médias se sont sentis touchés. Et donc, ils ont réagi beaucoup plus fortement. Mais j’espère tout de même qu’il va y avoir une prise de conscience et que le sort des chrétiens va émouvoir les gouvernements, non seulement en Europe mais sur le plan international.

En tant que membre de l’Académie française, en tant qu’ancien dirigeant de presse, est-ce que vous sentez dans les élites culturelles de la France une prise de conscience actuellement ?

Oui, il me semble tout de même que et à droite et à gauche, il y a une espèce d’indignation. L’article de Jacques Julliard dans Marianne, récemment, c’était un très bel article qui montrait quand même la nécessité d’une prise de conscience plus affirmée.

Dans cet article, il était aussi fait état des ambiguïtés de certains États arabes. Est-ce que c’est aussi la politique arabe de la France qui peut être remise en question ? Est-ce que les ambiguités de certains pays comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar doivent interroger les stratégies de la diplomatie française aussi ?

Oui, bien sûr. Vous savez, un problème que je me suis souvent posé, c’était d’où vient l’armement de l’État islamique. Malheureusement, je crois que l’armement vient en grande partie du soutien américain qui était destiné à d’autres pays et qui a été détourné. Ils ont été saisis en Irak. Peut-être qu’il  y a des aides, évidemment, de pays arabes riches et on voit bien qu’il y a une constante ascension, une surenchère constante dans la violence et dans l’horreur, et il faut évidemment prendre des mesures pour assécher l’aide accordée à l’État islamique par des puissances étrangères.

Vous venez d’y faire allusion, depuis quelques mois, on voit apparaitre sur nos écrans des images incroyables de l’État islamique, des images qui sont, de plus, très bien mises en scène. Est-ce que c’est là aussi une perversion de la société du spectacle ?

Évidemment, beaucoup ont souligné la qualité esthétique de ces horreurs. Nous avons connu des horreurs : les camps de concentration allemands, le goulag russe, la révolution culturelle en Chine, les Khmers rouges. Tout ça, c’était des horreurs abominables. Mais au moins les assassins essayaient de cacher leurs méfaits. Là, la propagande saisit cette violence et montre cette violence. On a l’impression que c’est une opération à la fois politique, esthétique et évidemment, c’est un degré de barbarie qui a été rarement atteint dans l’histoire de l’humanité. 








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