(RV) Entretien - Les entreprises multinationales sont désormais des actrices incontournables de la mondialisation, notamment dans les pays en développement. Ce rôle implique certains devoirs, surtout concernant la défense des Droits de l'homme, que ces entreprises ne respectent pas toujours.
En France, après l’adoption en première lecture le 31 mars, d’une loi sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales, la conférence des évêques de France, et plusieurs associations chrétiennes, - le CCFD, le CERAS, le Secours catholique-Caritas France -, s’engagent à leur tour, au nom de leur foi, pour un meilleur encadrement des multinationales, par le biais d’une brochure qui a été présentée ce jeudi.
Mathilde Dupré, chargée de campagne sur la régulation des entreprises, au CCFD-Terre solidaire, interrogée par Manuella Affejee :
Pourquoi lancer une campagne sur ce thème ?
Aujourd’hui, on fait de plus en plus appel au secteur
privé et aux entreprises multinationales dans un contexte de pénurie de ressources
publiques pour participer au développement des pays du Sud, des pays pauvres. Or,
si effectivement les entreprises et leurs investissements peuvent créer des emplois,
importer des technologies et améliorer les conditions de vie des populations dans
ces pays, ça ne peut se faire qu’au prix du respect d’un certain nombre de règles
sociales, environnementales, de respect des communautés. C’est donc en faveur d’un
renforcement de ces règles du jeu que le CCFD et d’autres alliés sont engagés aujourd’hui.
Vous vous engagez pour un meilleur encadrement
des entreprises multinationales. Est-ce à dire que ces entreprises ne respectent pas
leurs responsabilités et faillissent à leur devoir ?
Malheureusement, trop souvent, nous sommes interpellés
par des organisations partenaires avec lesquelles on travaille en Afrique, en Asie
ou en Amérique latine qui nous font état des impacts négatifs qui sont générés par
les activités des entreprises multinationales, notamment françaises. C’est le cas
dans le cadre de l’exploitation pétrolière, par exemple, les mines, mais aussi dans
certaines industries à forte concentration de main d’œuvre, comme le secteur textile,
dans lequel on observe encore trop souvent des violations et le non-respect des droits
des travailleurs. Il faut aujourd’hui exiger que la France pose un cadre plus clair
d’activités pour ces entreprises multinationales.
Le 31 mars dernier, la France a adopté
une loi qui appelle à plus de vigilance envers ces entreprises. Est-ce suffisant ?
La loi qui a été adoptée en première lecture est un
pas historique sur lequel nous nous sommes beaucoup mobilisés depuis des années parce
qu’effectivement, elle va imposer aux entreprises multinationales françaises d’être
vigilantes dans l’ensemble de leurs activités et de demander à leur sous-traitants,
leurs fournisseurs, de respecter les droits de l’Homme où que ce soit sur la planète.
Cette loi offre également la possibilité pour des victimes de graves violations des
droits humains de pouvoir se tourner vers les tribunaux français. Par contre, c’est
une loi qui ne couvre aujourd’hui que les entreprises de plus de 5000 salariés en
France ou 10.000 salariés dans le monde, c’est-à-dire qu’il y a seulement 125 à 150
entreprises qui sont couvertes par cette obligation. Malheureusement, il y a encore
beaucoup d’entreprises, notamment pétrolières ou dans le secteur textile, par exemple,
qui vont y échapper.
Est-ce que vous avez des exemples concrets
à nous donner ?
Le CCFD a été par exemple au Bangladesh après le drame
du Rana Plaza, pour rencontrer des organisations syndicales et des associations de
victimes après l’effondrement d’un immeuble de huit étages qui a coûté la vie à plus
de 1100 ouvrières et dans lequel on trouvait des usines de confection textile qui
travaillaient pour de grandes marques internationales comme Carrefour, Auchan, Camaieu.
Le CCFD a aussi travaillé sur le cas d’une entreprise pétrolière française qui s’appelle
Perenco dont les activités en République démocratique du Congo génèrent de très importantes
pollutions qui menacent la survie des populations et des communautés autour, qui vivent
de la pêche et de l’agriculture, et dont les ressources sont polluées aujourd’hui
du fait de l’activité de cette entreprise.
Vous avez donc directement à faire avec
ces entreprises multinationales dans le cadre de vos enquêtes. Est-ce qu’un dialogue
s’est instauré ? Est-ce que les entreprises sont réceptives ?
Alors, à chaque fois qu’on est interpellé par ces
organisations locales, on essaye effectivement d’entamer un dialogue avec les entreprises
qui sont pointées du doigt. Ce qui est compliqué, c’est que trop souvent, malheureusement,
les entreprises se réfugient derrière le fait que les législations nationales les
autorisent à ne pas respecter tous les droits humains et à avoir des pratiques qu’elles
ne pourraient pas avoir en France ou en Europe. L’autre problème auquel la loi sur
le devoir de vigilance apporte une réponse partielle, c’est que, trop souvent, quand
on constate des violations, c’est seulement la filiale ou le sous-traitant présent
dans le pays en question qui était pointé du doigt. On avait beaucoup de mal à pouvoir
montrer que l’entreprise mère ou la donneuse d’ordres, par les ordres qu’elle a passé,
les commandes et les conditions qu’elle pose sur ces filiales ou ses sous-traitants,
a aussi une part de responsabilité dans les impacts et les éventuelles atteintes aux
droits humains qui peuvent être causées par ces activités.
Les chrétiens s’engagent donc, au nom de leur foi, pour plus de contrôle
de ces entreprises. Qu’est-ce que cela veut dire en pratique pour un chrétien de s’engager
sur ce sujet ?
Par ce fascicule, on montre que différentes organisations
catholiques mènent des actions très concrètes en matière de promotion d’investissements
plus responsables, en matière de plaidoyers et de mobilisation citoyenne. On invite
donc les chrétiens à rejoindre ces différentes activités en famille, en Église, dans
sa paroisse mais aussi en tant qu’investisseurs, en tant que consommateurs, par des
actions très concrètes, pour demander un renforcement des règles du jeu. En tant que
consommateurs, on peut aussi chercher à se renseigner sur les conditions de fabrication
et sur les pratiques des grandes marques qui sont disponibles dans nos différents
magasins. C’est ce genre de pratiques très concrètes mais c’est aussi, comme l’ont
beaucoup fait les bénévoles de CCFD, interpeller les décideurs politiques, notamment
les députés, parce que c’est grâce à cette mobilisation de la part de tous les bénévoles
sur l’ensemble du territoire qu’on a réussi à convaincre suffisamment de députés français
pour adopter une loi sur le devoir de vigilance en France.
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