2015-04-14 17:34:00

France : la réforme du droit d'asile contestée par la Cour des comptes


(RV) Entretien - En France, la nouvelle réforme de l’asile sera discutée mercredi au Sénat. Un projet de loi contesté par la Cour des comptes, qui dénonce dans un rapport de 113 pages la gestion catastrophique des demandes d’asile et les lacunes du système français pour le suivi des dossiers.

D’un côté, l’asile est en effet devenu un vrai parcours du combattant pour les étrangers, qui attendent près de 2 ans avant d’obtenir une réponse. De l’autre, le rapport pointe un coût colossal de 2 milliards d'euros par an pour l’Etat français. Selon la Cour en effet, malgré l'obligation de quitter le territoire, seul 1% des personnes « déboutées » seraient effectivement expulsées du territoire. Le système fabriquerait ainsi des « sans-papiers », ce que déplore Eve Shahshahani, responsable des programmes asile à l’ACAT :

Le problème, c’est surtout que la France fabrique de l’échec en matière d’asile en rejetant 82% des demandes d’asile. C’est-à-dire que seuls deux demandeurs d’asile sur dix obtiennent une protection en France, alors que la moyenne européenne est quasiment au double. Donc, en ayant une vision chiffrée et en excluant huit personnes sur dix de la demande d’asile, la France sait très bien qu’elle fabrique des sans-papiers qui ne peuvent pas rentrer chez eux parce qu’ils y sont en danger. Qu’il y ait des papiers qui donnent le statut de réfugié ou non, de toute façon, ils ne pourront pas rentrer chez eux. Et ça, l’administration et les juridictions s’en doutent bien. Donc, le problème, il est en fait ailleurs, c’est qu’en laissant ces personnes ni régularisées, ni capables de rentrer chez elles parce que la situation y est encore très grave et dangereuse pour eux, on sait très bien que ces personnes vont rester là, sans statut, sans existence. Il faut rappeler aussi que les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler alors que de nombreuses associations, dont la nôtre, réclament pour eux à une présence digne quand ils sont en France et notamment par le travail. Donc, on ne peut pas d’un côté leur reprocher d’être une charge économique et d’un autre côté, leur refuser, par exemple le droit de travailler ou tout ce qui pourrait leur permettre de contribuer à la vie de la société française. Là, il y a une vraie incohérence.

Selon vous, qu’est-ce qui pèche dans le système actuel ?

Pour l’instant, la difficulté, au niveau du nombre des demandeurs d’asile, c’est la question des moyens, c’est-à-dire qu’il n’y a pas suffisamment de places d’hébergement pour tous les demandeurs d’asile. Et pour autant, la France est engagée par des conventions internationales et par les directives européennes à accueillir dignement les demandeurs d’asile sur son sol. Donc, la première question, c’est de mettre à disposition de l’hébergement digne pour ces personnes qui arrivent et qui demandent à être protégées. Au niveau des préfectures, il y a actuellement de nombreuses complications administratives qui sont liées à la question de la domiciliation des demandeurs d’asile mais il y en a d’autres encore. Et puis, il y a des pratiques administratives, il faut le dire, qui sont au bord de la légalité mais qui sont de mauvaises habitudes prises. Ce n’est peut-être de la faute de personne individuellement et qui retarde d’autant le déroulement de la procédure. Régulièrement, les administrations prennent des décisions illégales qui sont censurées, qui sont annulées par des tribunaux administratifs. Ca fait un contentieux lourd et au frais du contribuable. Et l’administration, à chaque fois qu’elle prend une décision illégale, elle est condamnée à payer des dommages et à payer des avocats et, elle coute au système. Mais ça, on n’en parle pas beaucoup.

Selon vous, le prochain projet de loi est-il incomplet ?

Plus qu’incomplet, le projet de loi de réforme de l’asile nous semble partir du mauvais pied. Il part d’un présupposé, qui nous semble dangereux, selon lesquel il y aurait des bons et des mauvais demandeurs d’asile, des personnes crédibles et les autres qui seraient des fraudeurs. Si on part de ce point de départ-là, on doit, dans cette optique-là, éliminer les fraudeurs, les faire sortir plus vite du système de l’asile en accélérant la procédure. Mais ce même présupposé-là est très dangereux. Il n’y a pas plus de fraudes dans la demande d’asile que dans le reste de la société. Si on voulait éliminer l’assurance maladie ou les allocations chômage, on dirait exactement la même chose. On dirait qu’il y a la bonne et la mauvaise graine, qu’il y a les vrais et les fraudeurs et qu’il faut amputer les fraudeurs pour sauver un corps sain. C’est exactement le même raisonnement qu’on applique à l’asile. Si on n’y croit pas quand on parle d’allocations chômage ou d’assurance maladie, pourquoi est-ce qu’on y croirait plus en matière d’asile ? 








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