(RV) Entretien - Alors que le Pape s'apprête à voyager à Sarajevo, le Père franciscain Ivan Nujic fait partie de ces personnes attendant François avec impatience. Les catholiques de Sarajevo et du pays ont besoin de son soutien, car la Bosnie-Herzégovine a besoin avant toute chose de paix. S’il observe une parfaite cohabitation entre les diverses confessions dans sa ville de Visoko, à 30 kilomètres au nord-ouest de Sarajevo, l'aumônier de la communauté catholique francophone en Bosnie-Herzégovine n’est pas pour autant aveugle face aux tensions communautaires encore bien présentes dans le pays, un triste constat qu’il attribue aux politiciens. Il est interrogé par l'envoyé spécial de la rédaction francophone de Radio Vatican à Sarajevo, Antonino Galofaro.
Où en est le dialogue entre communautés ?
Il n’y a pas de confiance entre nous, entre les communautés au niveau officiel. On
ne croit pas aux autres, on n’a pas de confiance, on cultive toujours beaucoup de
préjugés - je dirais même de l’apartheid - dans le sens où les enfants chrétiens,
catholiques et musulmans ne vont pas dans les mêmes écoles parce qu’il faut protéger
sa langue. Alors que c’est pratiquement la même langue. Au niveau de la sauvegarde
de notre identité, on fait tout dans quelques communautés pour ne pas se mêler aux
autres. Je suis fier que dans la communauté franciscaine où je vis à Visoko, pas loin
de Sarajevo, nous avons un lycée où tous sont bienvenus.
Ce sont les politiciens, la politique, les autorités qui alimentent cette
tension communautaire ?
Je pense que oui, à la fin, quand on calcule tout,
c’est comme ça. Après l’entrée de la Croatie dans l'Union européenne, beaucoup de
catholiques de Bosnie possèdent aussi un passeport croate. Ils sont à la fois citoyens
de l’Europe et ont même le droit d’aller partout en Europe pour chercher du travail,
donc, dans une Bosnie-Herzégovine qui est économiquement très pauvre, et où il y a
un taux de chômage invraisemblable, les catholiques sont très très tentés de laisser
leurs affaires et de s’en aller, parce que l’Europe est ouverte à cette petite communauté
catholique.
Qu’est-ce que ça veut dire de vivre en Bosnie quand on est catholique ?
Je n’accepte pas de me sentir en minorité, je suis
partout en Bosnie-Herzégovine à la maison, chez moi. Nous avons eu une institution
en Bosnie, c’est le bon voisinage. Les gens se comprennent entre eux, là il n’y a
pas de problème. Dans les voisinages, dans les villes, ça ne représente aucun problème
si dans un bâtiment avec une dizaine de logements, quelqu’un est catholique ou musulman,
ou orthodoxe, juif ou athée, pas de problème. Les gens se comprennent partout. Mais
quand les élections arrivent, alors on voit surgir ces rivalités, ces concurrences,
ça vient surtout peut-être du fait que les politiciens, qui ont en quelque sorte «
inspiré » la guerre (les chefs des grands partis ou les politiques, les idéologies),
sont toujours présents. Ils sont toujours là et nous réfléchissons toujours en grande
partie dans les catégories de « guerriers». Ça, c’est un problème. La Bosnie-Herzégovine
est un pays multicolore, multireligieux, multiculturel, multi…. tout ce que vous voulez.
C’est un exemple extraordinaire d’un Etat civil, d’une république qui doit montrer
au monde entier que les chrétiens, les catholiques, peuvent bien vivre en paix avec
les autres. L’enjeu est vraiment très grand. Et ce projet de la paix en Bosnie est
un projet qui doit réussir, vraiment, car il
n’y a pas d’autres solutions. Sa réussite prouverait que les chrétiens et les musulmans
peuvent vivre ensemble, non seulement en Bosnie mais ailleurs en Europe, en Albanie
par exemple - c’est pourquoi le Pape s'y est rendu - en Macédoine aussi, en Allemagne,
en France... Partout en Europe, où il y a assez de place pour tous les enfants de
Dieu, je pense. C’est aussi pour cette raison que le Pape vient, pour nous encourager.
Vous me disiez que dans votre ville, Visoko, il y a 90% de musulmans, 2%
de catholiques, et tout se passe bien ?
Tout se passe très bien. Même pendant la guerre, les
catholiques et musulmans étaient deux armées très opposées à une quinzaine de kilomètres
de Visoko et nous étions dominés par l’armée musulmane, mais ça ne posait pas de problème.
Nous avons eu la chance que là, à Visoko, et ailleurs aussi, il y a eu des Franciscains
qui ont été de vrais témoins, de solidarité, de proximité, vraiment de l’amour pour
l’autrui. Comme cet exemple extraordinaire : je me souviens, en 1993, la veille de
Noël, l'église de notre couvent à Visoko a été bombardée. Il faisait très froid, c’est
un climat continental, avec de la neige. Eh bien nos voisins, qui sont en grande partie
musulmans, sont venus et se sont tout de suite organisés pour nous réparer le toit.
Si bien que le soir même, on a pu célébrer la messe de minuit sous un toit reconstruit
en une journée. Personne ne leur avait demandé, ou dit « venez, aidez-nous ». Non
! Ils se sont organisés eux-mêmes ! D'ailleurs, ils disent très souvent, eux, musulmans
: « notre couvent, nos franciscains ». Notre formule consiste à toujours aller vers
les gens, avec les mains ouvertes, avec un cœur ouvert. Ça c’est toujours reconnu,
à chaque fois c'est gagnant !
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