2015-07-09 08:32:00

Bolivie : le Pape appelle au dialogue pour éviter les conflits entre les peuples


(RV) Devant les autorités civiles boliviennes, juste après son arrivée à la Paz dans la soirée de mercredi, le Pape François a appelé à œuvrer en faveur du « bien commun », à ne pas confondre, a t-il souligné, avec le « bien-être » qui « fait référence seulement à l’abondance matérielle, tend à être égoïste, à défendre les intérêts de parties, à ne pas penser aux autres, et à se laisser porter par la tentation du consumérisme. (…) Il engendre le mal de la corruption ». « Le bien commun, au contraire, a insisté le Saint-Père, est supérieur à la somme des intérêts particuliers (…) et il comprend tout ce qui donne cohésion à un peuple : objectifs communs, valeurs partagées, idéaux qui aident à élever le regard au-delà d’horizons individuels ».

Le Pape François a exhorté les nations à ne pas « se replier » sur elles-mêmes, et alors que certaines tensions ternissent actuellement les relations entre la Bolivie et le Chili, le Saint-Père a rappelé que « le développement de la diplomatie avec les pays voisins, dans le but d’éviter des conflits entre des peuples frères et de contribuer à un dialogue franc et ouvert sur les problèmes, est aujourd’hui indispensable ». « Je suis en train de penser à la mer », a-t-il déclaré, en sortant de son texte. « Le dialogue est indispensable (...) Il faut construire des ponts plutôt qu’ériger des murs. Tous les thèmes, aussi épineux soient-ils, ont des solutions communes, raisonnables, équitables et durables ».

Dans ce discours, le Saint-Père a insisté sur le défi de l’unité, de la « solidarité et de la responsabilité entre les personnes », de l’« unité et du développement de la société » et de l'« intégration ». « Dans cette terre où l’exploitation, l’avidité, les multiples égoïsmes et les perspectives sectaires ont jeté des pans d’obscurité sur son histoire, aujourd’hui, ce peut être le temps de l’intégration. Aujourd’hui, la Bolivie peut créer de nouvelles synthèses culturelles ». Et l’Église a là un rôle important à jouer. Les chrétiens sont ainsi « appelés à être levain au milieu du peuple », à apporter « leur propre message à la société ». « La lumière de l’Évangile du Christ n’est pas la propriété de l’Église ; celle-ci en est plutôt la servante, afin que cette lumière atteigne les confins du monde ». Le Saint-Père a donc appelé à « reconnaître le rôle spécifique des religions dans le développement de la culture et les bienfaits qu’elles peuvent apporter à la société ».

Lors de cette intervention, le Pape François a aussi évoqué la nécessité de poser « les bases d’une écologie intégrale, qui comprenne clairement toutes les dimensions humaines dans la résolution des graves problèmes socio-environnementaux de nos jours ». Pour cela, « puisque tout est lié, nous avons besoin l’un de l’autre ». « Si la politique se laisse dominer par la spéculation financière ou si l’économie s’aligne seulement sur le paradigme technocratique et utilitariste de la production maximale, on ne pourra même pas comprendre, et encore moins résoudre les grands problèmes qui affligent l’humanité ».

 

Intégralité du discours du Pape traduit en français

 

Monsieur le Président,

Excellences, Mesdames et Messieurs !

 

Je suis heureux de cette rencontre avec vous, Autorités politiques et civiles de la Bolivie, membres du Corps diplomatique et personnalités du monde de la culture et du volontariat. Je remercie mon frère Monseigneur Edmundo Abastaflor, Archevêque de La Paz, pour sa cordiale bienvenue. Je vous demande de me permettre de collaborer dans la tâche que chacun de vous accomplit déjà, en vous encourageant par quelques paroles.

Chacun à sa manière, nous tous ici présents, nous partageons la vocation de travailler pour le bien commun. Il y a 50 ans, le Concile Vatican II définissait le bien commun comme « l’ensemble des conditions de la vie sociale qui permettent aussi bien aux groupes qu’aux membres individuels d’atteindre leur perfection d’une façon plus plénière et plus aisée » (Const. Past. Gaudium et Spes, n. 26) ; merci d’aspirer – selon le rôle et la mission de chacun – à ce que les personnes et la société se développent, atteignent leur perfection. Je suis sûr de votre recherche du beau, du vrai, du bien dans cet engagement pour le bien commun. Que ces efforts aident toujours à croître dans un respect plus grand envers la personne humaine comme telle, à travers les droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son développement intégral, à la paix sociale, c’est-à-dire à la stabilité et à la sécurité d’un certain ordre, qui ne se réalise pas sans une attention particulière à la justice distributive (cf. Encycl. Laudato si’, n. 157). Que la richesse soit distribuée sensiblement.

Sur la route vers la cathédrale, depuis l'aéroport, j’ai pu admirer les sommets du Hayna Potosí et de l’Illimani, de cette « jeune montagne » et de celle qui indique « le lieu d’où surgit le soleil ». J’ai aussi vu comment de manière artisanale beaucoup de maisons et de quartiers se confondent avec les flancs de la montagne et j’ai admiré certaines œuvres de votre architecture. Le milieu naturel et le milieu social, politique et économique sont étroitement liés. Il est urgent que nous posions les bases d’une écologie intégrale - c'est un problème de santé - qui comprenne clairement toutes les dimensions humaines dans la résolution des graves problèmes socio-environnementaux de nos jours… autrement les glaciers de ces montagnes continueront à reculer… et la logique de la réception, la conscience du monde que nous voulons laisser à qui viendra après nous, son orientation générale, sa signification, et ses valeurs elles aussi fondront comme ces glaciers (cf. ibid., nn. 159-160). Et nous devons prendre conscience de cela. L'écologie intégrale suppose l'écologie de la terre mère, prendre soin de la terre mère ; l'écologie humaine, c'est prendre soin de nous et l'écologie sociale. 

Puisque tout est lié, nous avons besoin l’un de l’autre. Si la politique se laisse dominer par la spéculation financière ou si l’économie s’aligne seulement sur le paradigme technocratique et utilitariste de la production maximale, on ne pourra pas même pas comprendre, et encore moins résoudre les grands problèmes qui affligent l’humanité. La culture aussi est nécessaire, dont font partie non seulement le développement de la capacité intellectuelle de l’homme dans les sciences et le développement de la capacité de générer de la beauté dans les arts, mais aussi les traditions populaires locales, avec leur sensibilité particulière à l’environnement dont elles sont issues et auquel elles donnent sens. De la même façon, il faut une éducation éthique et morale qui cultive des attitudes de solidarité et de responsabilité entre les personnes. Nous devons reconnaître le rôle spécifique des religions dans le développement de la culture et les bienfaits qu’elles peuvent apporter à la société. Les chrétiens, en particulier, comme disciples de la Bonne Nouvelle, sont porteurs d’un message de salut qui a en lui-même la capacité d’ennoblir les personnes, d’inspirer de grands idéaux capables de donner de l’impulsion à des lignes d’action qui vont au-delà de l’intérêt individuel, permettant la capacité de renoncement en faveur d’autrui, la sobriété et les autres vertus qui nous soutiennent et nous unissent. Ces vertus qui, dans votre culture, s'expriment si sensiblement au travers de ces trois commandements : ne pas mentir, ne pas voler et ne pas être lâche.

Mais nous devons être sur nos gardes. Nous nous habituons si facilement à l’environnement de l’injustice qui nous entoure, que nous sommes devenus insensibles à ses manifestations. Et nous confondons ainsi, sans nous en apercevoir, le « bien commun » avec le « bien-être », et on glisse petit à petit, et l'idéal du bien commun se perd et se transforme en bien-être, spécialement quand c’est nous qui en jouissons. Le bien-être qui fait référence seulement à l’abondance matérielle tend à être égoïste, à défendre les intérêts de parties, à ne pas penser aux autres, et à se laisser porter par la tentation du consumérisme. Ainsi compris, le bien-être, au lieu d’aider, fait le nid de conflits possibles et de désagrégation sociale ; s’affirmant comme perspective dominante, il engendre le mal de la corruption, qui décourage autant qu’il fait de mal. Le bien commun, au contraire, est supérieur à la somme des intérêts particuliers ; c’est un passage de ce qui ‘‘est meilleur pour moi’’ à ce qui ‘‘est meilleur pour tous’’, et il comprend tout ce qui donne cohésion à un peuple : objectifs communs, valeurs partagées, idéaux qui aident à élever le regard au-delà d’horizons individuels.

Les différents acteurs sociaux ont la responsabilité de contribuer à la construction de l’unité et du développement de la société. La liberté est toujours le meilleur contexte pour que les penseurs, les associations citoyennes, les moyens de communication remplissent leur fonction, avec passion et créativité, au service du bien commun. Les chrétiens aussi, appelés à être levain au milieu du peuple, apportent leur propre message à la société. La lumière de l’Évangile du Christ n’est pas la propriété de l’Église ; celle-ci en est plutôt la servante, l'Eglise doit servir l'Evangile du Christ afin que cette lumière atteigne les confins du monde. La foi est une lumière qui n’éblouit pas, les idéologies  éblouissent, la foi n’obnubile pas, mais éclaire et guide avec respect la conscience et l’histoire de chaque personne et de chaque société humaine. Le christianisme a rempli un rôle important dans la formation de l’identité du peuple bolivien. La liberté religieuse – telle qu’habituellement cette expression est entendue dans le droit civil – nous rappelle aussi que la foi ne peut être réduite à la sphère purement subjective. Ce n'est pas une sous-culture. Ce sera pour nous un défi d’encourager et de promouvoir l’épanouissement de la spiritualité et de l’engagement chrétien en œuvres sociales.

Parmi les différents acteurs sociaux, je voudrais mettre en exergue la famille, menacée de toutes parts par la violence domestique, l’alcoolisme, le machisme, la toxicomanie, le manque de travail, l’insécurité civile, l’abandon des personnes âgées, les enfants de la rue et recevant de pseudo-solutions à partir de perspectives qui ne sont pas saines pour la famille et qui viennent clairement de colonisations idéologiques. Ils sont si nombreux les problèmes sociaux que la famille résout en silence, que ne pas la promouvoir signifie laisser les plus vulnérables sans protection.

Une nation qui cherche le bien commun ne peut se replier sur elle-même ; les réseaux de relations consolident les sociétés. Le problème de l’immigration de nos jours nous le démontre. Le développement de la diplomatie avec les pays voisins, dans le but d’éviter des conflits entre des peuples frères et de contribuer à un dialogue franc et ouvert sur les problèmes est aujourd’hui indispensable. Et là je pense à la mer. Le dialogue est indispensable. Il faut construire des ponts plutôt qu’ériger des murs. Construire des ponts plutôt qu’ériger des murs. Tous les thèmes, aussi épineux soient-ils, ont des solutions communes, raisonnables, équitables et durables. Et, dans chaque cas, ils ne doivent jamais être des motifs d’agressivité, de rancœur ou d’inimitié qui aggravent encore plus la situation et en rendent plus difficile la résolution.

La Bolivie est en train de traverser un moment historique : la politique, le monde de la culture, les religions font partie de ce beau défi de l’unité. Dans cette terre où l’exploitation, l’avidité, les multiples égoïsmes et les perspectives sectaires ont jeté des pans d’obscurité sur son histoire, aujourd’hui ce peut être le temps de l’intégration. Aujourd’hui, la Bolivie peut créer, est capable de créer avec ses richesses, de nouvelles synthèses culturelles ». Comme ils sont beaux les pays qui dépassent la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents, faisant de cette intégration un nouveau facteur de développement ! Que c’est beau quand il y a plein d’espaces qui regroupent, mettent en relation, favorisent la reconnaissance de l’autre (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 210) ! La Bolivie, dans l’intégration et dans sa recherche d’unité, est appelée à être « cette harmonie multiforme qui attire » (ibid. n. 117), et qui attire sur le chemin vers la consolidation de la grande patrie.

Merci beaucoup de votre attention. Je demande au Seigneur que la Bolivie, « cette terre innocente et belle » continue à progresser toujours plus pour être la « patrie heureuse où l’homme expérimente le bien du bonheur et de la paix ». Que la Vierge sainte vous protège et que le Seigneur vous bénisse en abondance. N’oubliez pas de prier pour moi, parce que j’en ai besoin.

 








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