2016-02-05 17:55:00

Adriana Valerio, un regard féminin sur la miséricorde


(RV) Entretien - Adriana Valerio est historienne et une des premières femmes a avoir été diplômée en théologie en Italie. Depuis plus de 20 ans, elle travaille à reconstruire la mémoire des femmes dans l’histoire du christianisme. Enseignante à l’Université Federico II à Naples, elle est l’auteur de nombreux livres dont Les Mères du Concile : Vingt-trois femmes au Vatican paru en 2012  aux Editions Carocci ou Les Rebelles de Dieu. Femme et Bible entre mythe et histoire paru chez Feltrinelli en 2014. Son dernier ouvrage est intitulé Miséricorde. Il vient d’être publié par Gabrielli Editori. Elle y parle notamment du visage féminin de Dieu.

Marie Duhamel lui a demandé de revenir pour nous sur l’origine étymologique du mot miséricorde :

La Bible utilise des mots distincts pour parler de la «miséricorde» (hesed, emeth, rachamim), une manière d'être qui fait référence à Dieu et à sa relation de salut avec l'humanité. Israël a été libéré de l'esclavage par les mains de Dieu qui «est ému de compassion» pour les souffrances du peuple opprimé. La compassion et la fidélité sont deux aspects d'une même attitude de Dieu qui, avec un amour désintéressé, reste fidèle à lui-même et à l'alliance qu’il a fait avec l'humanité.

Par fidélité à sa nature paternelle et maternelle, Dieu a généré l'humanité et a noué un pacte avec elle pour en faire le gardien du monde à fin qu'elle atteigne la plénitude du bonheur. Donc Dieu n'a pas peur de montrer un amour tendre et compatissant qui le lie aux enfants dont il se soucie et qu’il n’abandonnera jamais.

Mais il y a un troisième élément qui exprime encore plus intensément et efficacement ce sentiment. C’est le mot qui vient de Racham, utérus, qui fait référence à l'amour intense de la mère envers son enfant. Voilà où se trouve le siège de la compassion, du partage de la douleur de l'autre et de l'acceptation du sort d'autrui. Avoir de la compassion est une action divine. Dans la spiritualité juive, Dieu a un utérus : il est un Père miséricordieux. Pour cela la miséricorde est la dimension affective et gratuite de l'amour, comme celui de la mère avec son enfant.

Jugez-vous étonnant cette image féminine de la miséricorde de Dieu ?

C’est étonnant pour notre culture occidentale caractérisée par un langage masculin. Dieu est toujours représenté dans les langues latines par les caractères de l'homme (fort, puissant, victorieux); on néglige tous les aspects féminins relatifs à Dieu qui sont dans la Bible, et sur lesquelles le pape François aujourd'hui revient pour les souligner. Dieu n’est ni homme ni femme; pour parler de Dieu, nous pouvons utiliser des métaphores de notre expérience, mais, malheureusement, nous avons privilégié le masculin négligeant ses images féminines parce que nous les avons considérés «inconvenantes». La Bible nous parle, cependant, de l'Esprit de Dieu en termes féminins (Ruah); et parle de Dieu comme Sagesse, comme une femme qui appelle au banquet de la vie et ainsi de suite. Les mystiques, comme Julienne de Norwich, en utilisant le langage de l'amour et de la poésie, parlent de Jésus comme une mère qui sauve.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples venant de la Bible qui parlent de la maternité miséricordieuse de Dieu ?

Cette image nous la trouvons déjà dans l'Ancien Testament, dans certains psaumes (25,40 , 86, 88 , 103 , 131 ...) et chez certains prophètes (Isaïe, Ézéchiel, Osée), et le même Jésus revient sur elle, à plusieurs reprises. Jésus qui devant la souffrance des personnes, est touché par la compassion : «se troublent ses entrailles de miséricorde», dit l'Évangile. Dans l'évangile de Luc, chapitre 15, on parle des paraboles de la miséricorde; du pasteur qui va à la recherche de la brebis qui s'éloigne, de la maîtresse de maison qui cherche et trouve la drachme perdue et du père miséricordieux qui accueille son fils qui avait disparu. Toutes ces paraboles ne parlent pas de ceux qui sont perdus, mais plutôt de Dieu, de son attitude miséricordieuse vis-à-vis de nous. Un Dieu qui n'est pas présenté par Jésus comme un «père tyran» ou un «juge impitoyable», mais plutôt comme un Dieu «Père miséricordieux», un Père - maternelle, un père avec l'utérus, qui accueille inconditionnellement, qui donne à chacun la possibilité de commencer une nouvelle vie. Avoir de la compassion est une action divine. Et nous sommes appelés à le suivre dans ce mode de vie.

Et dans la littérature, un exemple vous vient-il à l’esprit ?

Dans Les Misérables de Victor Hugo, avant de rencontrer le désespéré Jean Valjean et de l'orienter vers une vie réconciliée, l'évêque de Digne méditait sur Dieu et trouvait "Miséricorde" son nom le plus approprié. Tout le monde, aussi misérable qu’il est, est digne de la miséricorde de Dieu et peut devenir le sujet racheté et compatissant.

(CV-MD)

 








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