2016-05-30 17:33:00

Gaspillage alimentaire : le cardinal Tagle appelle à centrer le système sur l’humain


(RV) Trouver une nouvelle façon d’encadrer la question du gaspillage alimentaire en mettant au centre des préoccupations l’homme. C’est l’appel du cardinal Luis Antonio Tagle, président de Caritas Internationalis, lors de la 154è session du Conseil de la FAO qui se tient lundi 30 mai à Rome sur le thème de la réduction des déchets alimentaires. S'appuyant sur des exemples concrets, il appelle donc à changer son regard, «faire des choix politiques, adopter un style de vie et une spiritualité qui rompt avec le pur paradigme technocratique». Car «adopter seulement des remèdes techniques aux pertes alimentaires équivaut à oublier la personne humaine, séparant ce qui est en réalité interconnecté et masquant le véritable et plus profond problème du système global», a martelé le Cardinal.

Devant les participants à la session de la FAO, il souligne que «le marché ne peut pas garantir à lui seul le développement humain intégral et l’inclusion sociale». En effet, si le gaspillage alimentaire est en apparence un problème technique, «nous ne devons pas négliger les racines les plus profondes de nos erreurs actuelles, qui sont liées à la direction, au but, au sens et aux implications sociales de la croissance technologique et économique» insiste-t-il.

Les petits agriculteurs sont les plus menacés

Le président de Caritas Internationalis a donc pris soin de suggérer des solutions à la question des pertes alimentaires, à travers l’expérience des organisations Caritas. La menace pèse sur le travail des agriculteurs même et en particulier des petits producteurs, explique le Cardinal Tagle. Car le gaspillage se fait «à tous les niveaux des chaînes du développement agricole» : dans les transports des denrées depuis les champs vers les marchés, lors du moissonnage et du décorticage, pendant le stockage, et lors de la commercialisation.

Si ce sont les petits agriculteurs qui sont les plus menacés, précise-t-il, c’est parce qu’ils ont «un manque de connaissances et de moyens pour gérer les pertes après les récoltes». Offrir «une formation technique, des crédits, des assurances, une défense de leurs intérêts face aux politiques agricoles et des débouchés sur le marché, c’est aussi cela la mission de Caritas», des ONG, des chercheurs, des investisseurs privés et des gouvernements, explique le Cardinal, s’appuyant sur l’exemple d’une étude de la Caritas au Malawi en 2014. Dans ce pays d'Afrique, l'organisation a examiné les cultures vivrières telles que le maïs, le millet, le soja, les haricots, les pois et l'arachide, montrant que les pertes de produits alimentaires menaçaient la sécurité alimentaire des agriculteurs et du pays dans son ensemble. Une situation liée au manque de financement, de matériels et d'accès aux technologies.

«Les systèmes de production alimentaire à petite échelle nourrissent la plus grande partie du monde» rappelle le président de Caritas Internationalis. Et pourtant, ils sont très souvent «forcés de vendre leurs terres, d’abandonner leurs productions traditionnelles», et ne peuvent se convertir à d’autres formes de productions, «adaptées seulement aux grandes entreprises». Il est donc essentiel, considère le Cardinal, que les autorités civiles adoptent des mesures pour soutenir ces petits producteurs, et que «les systèmes alimentaires intègrent la valeur fondamentale du travail de l’homme». Le système doit favoriser la coopération, la solidarité, l’inclusion sociale, «c’est une question de justice».

Centrer le système sur l’homme et non le marché

Citant le Pape François, dans son encyclique "Caritas in Veritate", il rappelle que l’insécurité alimentaire se combat grâce aux investissements dans les infrastructures rurales et le partage des techniques entre agriculteurs. «Lier le droit fondamental de l’homme à l’alimentation n’est pas qu’un défi économique et technique, mais surtout éthique et anthropologique» écrivait le Saint-Père. «Le problème du gaspillage alimentaire est clairement un problème systémique, c’est la conséquence de systèmes qui ne sont pas centrés sur la personne humaine mais sur le marché» martèle le cardinal Tagle.

Car, comme le dit l’encyclique "Laudato si’", il est du devoir de chacun d’être les gardiens du «jardin du monde», de le cultiver, le protéger, le surveiller, mais aussi d’en préserver ses fruits, alerte le Cardinal, pour «s’assurer qu’ils soient abondants pour les générations futures». Des fruits qui doivent profiter à tous, sur la planète, et non qu’à ceux qui en ont les moyens. Ce qui implique d’adopter «une vision sociale», qui prend en compte les pauvres, poursuit le prélat. Il donne l'exemple d'une initiative aux États-Unis, dans le Maine où, à travers des banques alimentaires, les plus nécessiteux ont accès à des aliments riches en nutriments et issus de l'agriculture biologique. Autre exemple, dans l'État de Washington a été mis en place un système de distribution des fruits et légumes frais aux ménages à faible revenu à travers des bons alimentaires fournis par le gouvernement américain. Un système qui favorise la proximité pour éviter l'utilisation de transports, et, en partenariat avec des universités, permet d'offrir des programmes d'éducation nutritionnelle.

C’est ainsi que travaille Caritas : au-delà des solutions techniques, répondre par le «développement humain intégral et écologique», «orienté vers les plus vulnérables et les plus marginalisés». Cela passe par le «respect de l’environnement, de la santé humaine et du bien-être, et la création d’emplois», pour assurer une justice sociale.

Ne pas rester observateur de ce fléau

Lors d’une rencontre en marge de la 154è session, les participants ont abordé plus précisément la question des initiatives spécifiques visant à réduire les déchets alimentaires dans le contexte de la sécurité alimentaire, comme défi pour la communauté internationale. C’est dans ce cadre que Mgr Fernando Chica Arellano, observateur permanent du Saint-Siège auprès de la FAO, a lancé un «appel urgent à réveiller la conscience de l'humanité, afin que personne ne reste un observateur de ce fléau, afin que personne ne reste impassible face à une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants qui risquent leur droit sacré à la vie parce qu'ils n’ont rien à manger.» Il a poursuivi en dénonçant le gaspillage, «il y a encore beaucoup de pertes au moment de la récolte, du stockage ou de la distribution». «C’est un scandale qui, comme l’a indiqué le Pape François lors de la Journée mondiale de l’alimentation en 2014, invite à réfléchir sur l'énorme quantité de nourriture gaspillée par les produits qui sont détruits et par la spéculation au nom du dieu profit.»

(BH)








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