2017-03-24 10:03:00

Troisième méditation de Carême du père Cantalamessa


(RV) Le père Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison Pontificale a livré ce vendredi 24 mars sa troisième méditation de Carême. Le père capucin a choisi comme thème «L’Esprit Saint nous fait entrer dans le mystere de la mort du Christ». Cette méditation est axée sur le mystère pascal du Christ, le lien entre l'Esprit saint et la mort à travers les Evangiles, mais aussi la tradition des Pères de l'Eglise. Le Christ opère un renversement radical par rapport à la mort, une mort qui est aussi un baptême dans le sens où part la mort de Jésus naissent des créatures nouvelles.

Dans sa méditation, le père Cantalamessa revient aussi sur les tentations de dépasser la mort de manière artificielle et vaine, que ce soit à travers la réincarnation ou, en allant encore plus loin, par les tetnatives transhumanistes qui marquent l'époque contemporaine. Le prédicateur livre un conseil à vivre pendant ce temps de Carême: prendre un Evangile et, pour soi-même, lire un récit de la Passion calmement et en entier. Afin de faire infuser la Parole de Dieu et mieux comprendre pourquoi le Christ s'est livré pour nous. 

 

Voici la traduction intégrale de cette méditation: 

«L’esprit Saint nous fait entrer dans le mystere de la mort du Christ»

 

1. L’Esprit Saint dans le mystère pascal du Christ

Dans les deux méditations précédentes nous avons cherché à montrer comment l’Esprit Saint nous introduit à la « pleine vérité » sur la personne du Christ, en nous le faisant connaître comme « Seigneur » et comme « Dieu né du vrai Dieu ». Dans les méditations restantes notre attention se déplace de la personne du Christ à son œuvre, de « l’être » à « l’agir ». Nous tâcherons de montrer comment l’Esprit Saint illumine le mystère pascal, et pour commencer, dans cette médiation, le mystère de sa mort et de la nôtre.

Dès que le programme de ces méditations de carême a été rendu public, dans un entretien pour L’Osservatore Romano, on m’a été demandé: « Combien d’espace accorderez-vous à l’actualité ? » J’ai répondu: si l’on entend par « actualité » la référence à des situations ou des événements en cours, je crains qu’il y ait bien peu d’actuel dans mes prochaines prédications de carême. Mais, à mon avis, « actuel » ne renvoie pas seulement à « ce qui est en cours » et n’est pas synonyme de « récent ». Les choses les plus « actuelles » sont les choses éternelles, c’est-à-dire celles qui touchent les personnes au plus profond de leur existence, dans leur intimité, à toute époque ou culture. C’est la même distinction que l’on fait entre ce qui est « urgent » et ce qui est « important ». Nous sommes toujours tentés de mettre l’urgent avant l’important et de faire passer ce qui est « récent » avant ce qui est « éternel ». Une tendance que le rythme de la communication et le besoin de nouveauté des médias rendent aujourd’hui particulièrement aiguë.

Qu’y-a-t-il de plus important et d’actuel pour le croyant, je dirais même pour tout homme et toute femme, que de savoir si la vie a un sens ou pas, si la mort est la fin de tout ou, au contraire, le début de la vraie vie ? Il se trouve que le mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ est la seule réponse à ces problèmes. La différence qu’il y a entre cette actualité et celle des médias est la même que celle qu’il y a entre celui qui passe son temps à regarder le dessin que fait la vague sur la plage (effacé par la vague suivante) et celui qui lève les yeux et contemple la mer dans son immensité.

Méditons donc sur le mystère pascal du Christ, avec cela à l’esprit, en commençant par sa mort en croix. La Lettre aux Hébreux affirme que le Christ « poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut » (He 9,14). « L’Esprit éternel », c’est une autre façon de dire l’Esprit Saint, comme le montre déjà une  ancienne variante du texte. Cela veut dire que Jésus-homme a reçu de l’Esprit Saint, qui était en lui, l’élan de s’offrir en sacrifice au Père et la force pour le soutenir dans sa passion. La liturgie exprime cette même conviction quand, dans la prière qui précède la communion, elle fait dire au prêtre: « Seigneur Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, selon la volonté du Père et avec la puissance du Saint-Esprit (cooperante Spiritu Sancto), tu as donné, par ta mort, la vie au monde ».

Cela est vrai pour le sacrifice comme pour la prière de Jésus. Un jour Jésus « exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange » (Lc 10, 21). C’est l’esprit Saint qui suscitait en lui la prière et l’Esprit Saint qui le poussait à s’offrir au Père. L’Esprit Saint, qui est le don éternel que le Fils fait de lui-même au Père dans l’éternité, est aussi la force qui le pousse à s’offrir en sacrifice au Père pour nous dans le temps.

Ce lien entre l’Esprit Saint et la mort de Jésus apparaît tout particulièrement dans l’évangile de Jean. « Il ne pouvait y avoir encore l’Esprit – commente l’évangéliste à propos de la promesse de fleuves d’eau vive - puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7, 39), autrement dit, selon le sens de la parole de Jean, puisqu’il n’avait pas encore été élevé sur la croix. De la croix de Jésus « jaillit l’Esprit », symbolisé par l’eau et le sang; il dit en effet dans sa Première Lettre: « Ils sont trois qui rendent témoignage, l’Esprit, l’eau et le sang ! » (1 Jn 5, 7-8).

L’Esprit Saint conduit Jésus à la croix et, de la croix, Jésus donne l’Esprit Saint. Au moment de sa naissance et puis, publiquement, à son baptême, l’Esprit Saint est donné à Jésus; au moment de sa mort Jésus donne l’Esprit Saint: « Il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez », dit Pierre aux foules le jour de la Pentecôte (Ac 2, 33). Les Pères de l’Eglise aimaient mettre en évidence cette réciprocité. « Si le Seigneur – écrivait saint Ignace d’Antioche - a reçu une onction sur la tête, c'est afin d'exhaler pour son Église un parfum d'incorruptibilité »[1].

A ce point, souvenons-nous de l’observation de saint Augustin sur la nature des mystères du Christ. Selon lui, contrairement à la célébration d’un simple anniversaire, on a une célébration selon le mystère, quand «  on commémore non seulement l’événement, mais qu’on le fait de manière à ce que sa signification soit compréhensible pour nous et accueillie saintement »[2]. Et c’est ce que nous tâcherons de faire dans cette méditation, guidés par l’Esprit Saint : voir ce que signifie pour nous la mort du Christ, ce que cela a changé pour nous, par rapport à nôtre mort.

2. Un homme est mort pour tous

Le Credo de l’Eglise se termine par les paroles : « J’attends la résurrection des morts et le monde à venir ». Il ne dit pas ce qui précèdera la résurrection, c’est-à-dire la mort. A juste titre, car la mort n’est pas objet de foi, mais d’expérience. Mais la mort nous concerne de trop près pour la passer sous silence.

Afin d’apprécier le changement opéré par le Christ par rapport à la mort, voyons quels sont les remèdes utilisés par l’homme pour affronter le problème. Remèdes qui sont d’ailleurs les mêmes que ceux qu’il utilise aujourd’hui pour se « consoler ». La mort est le problème humain numéro un. Saint Augustin anticipe la réflexion philosophique moderne sur la mort.

« Quand quelqu’un naît – écrit-il – on fait tant d’hypothèses: peut-être sera-t-il beau, peut-être sera-t-il laid; peut-être sera-t-il riche, peut-être sera-t-il pauvre; peut-être vivra-t-il longtemps, peut-être pas... Mais on ne dit de personne: peut-être qu’il mourra ou peut-être qu’il ne mourra pas. C’est la seule chose absolument sûre de la vie. Quand nous savons que quelqu’un est atteint d’hydropisie [maladie incurable à l’époque, aujourd’hui il y en a d’autres] nous disons: « Le pauvre, il doit mourir ; il est condamné, il n’y a pas de remède ». Mais ne devrions-nous pas dire la même chose pour quelqu’un qui naît ? « Le pauvre, il doit mourir, il n’y a pas d remède, il est condamné! » Quelle différence si cela arrive à plus ou moins long terme? La mort est la maladie mortelle que l’on attrape en naissant »[3].

Peut-être que plus qu’une « vie mortelle », on devrait dire une « mort vivante » pour qualifier notre vie, une vie mourante.[4] Cette pensée d’Augustin a été reprise par Martin Heidegger qui a fait entrer la mort de plein droit dans l’objet de la philosophie. En définissant la vie et l’homme « un-être-vers-la-mort », il fait de la mort non pas un incident qui met un terme à la vie, mais la nature même de la vie, ce dont elle est faite. Vivre c’est mourir. Chaque instant que nous vivons est quelque chose que l’on brûle, ôté à la vie et remis à la mort[5]. « Vivre-vers-la-mort » signifie que la mort n’est pas seulement la fin, mais aussi le but de la vie. On naît pour mourir, un point c’est tout. Nous venons du néant et retournons au néant. Le néant est l’unique possibilité de l’homme.

C’est le renversement le plus radical de la vision chrétienne, selon laquelle l’homme est un « être-pour-l’éternité ». Toutefois, l’affirmation à laquelle est arrivée la philosophie après sa longue réflexion sur l’homme n’est ni scandaleuse ni absurde. La philosophie fait tout simplement son métier; elle montre ce que serait le destin de l’homme livré à lui-même. Elle aide à comprendre la différence que fait la foi en Jésus-Christ.

Plus que la philosophie ce sont peut-être les poètes qui disent les paroles de sagesse les plus simples et les plus vraies sur la mort. L’un d’eux, Giuseppe Ungaretti, en parlant de l’état d’âme des soldats dans les tranchées pendant la Grande Guerre, décrit la situation de tout homme face au mystère de la mort:

            « On est là comme
            sur les arbres
            les feuilles
            d’automne ».

Même dans l’Ancien Testament, on ne trouve pas de réponse claire sur la mort. On en parle dans les livres de sagesse mais toujours sous forme de question. Job, les psaumes, l’Ecclésiaste, Ben Sirac le Sage, le Livre de la Sagesse: tous ces livres accordent une grande attention au thème de la mort. « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours – dit un psaume -  afin  que nos cœurs pénètrent la sagesse » (Ps 90, 12). Pourquoi naît-t-on ? Pourquoi meurt-on ? Où va-t-on après la mort ? Pour le sage de l’Ancien Testament, la seule réponse valable à toutes ces questions est : Dieu le veut ainsi ; sur tout, il y aura un jugement.

La Bible nous rapporte les opinions inquiétantes des incrédules de l’époque: « Notre existence est brève et triste, rien ne peut guérir l’homme au terme de sa vie, on n’a jamais vu personne revenir du séjour des morts... Nous sommes nés par hasard, et après, nous serons comme si nous n’avions pas existé » (Sg 2, 1 ss.). Il n’y a que dans ce livre de la Sagesse, qui est le plus récent des livres de sagesse, que l’on commence à entrevoir l’idée d’une rétribution après la vie sur terre. Les âmes des justes, pense-t-on, sont dans les mains de Dieu, même si on ne sait pas ce que cela veut dire précisément (cf. Sg 3, 1).

Comment a réagi l’homme à cette dure nécessité ? Une manière de régler rapidement la question fut de ne pas y penser, de se distraire. Pour Epicure, par exemple, la mort est un faux problème: « Quand nous sommes – disait-il –  la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas ». Elle ne nous concerne donc pas.

On s’est accroché aussi à des remèdes positifs. Le plus universel s’appelle « progéniture », survivre dans ses enfants ou dans sa réputation: « Je ne mourrai pas tout entier (« non omnis moriar ») – disait le poète latin Horace –, car resteront de moi mes écrits, ma réputation ». « J’ai achevé un monument plus durable que le bronze »[6]. Pour le marxisme, l’homme survit dans la société du futur, non comme individu mais comme espèce.

La réincarnation est un autre de ces remèdes palliatifs. Mais c’est une sottise. Ceux qui professent cette doctrine comme partie intégrante de leur culture et de leur religion, c’est-à-dire ceux qui savent vraiment ce qu’est la réincarnation, savent aussi que celle-ci n’est ni un remède ni une consolation, mais une punition. Il ne s’agit pas d’une prorogation accordée au plaisir, mais à la purification. L’âme se réincarne parce qu’elle a encore quelque chose à expier, et si elle doit expier, elle devra souffrir. La parole de Dieu met un terme à toutes ces échappatoires, à toutes ces illusions: « Le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés » (He 9, 27). Une seule fois! La doctrine de la réincarnation est incompatible avec la foi des chrétiens.

Notre époque est allée plus loin. Il existe un mouvement au niveau mondial appelé « transhumanisme ». Celui-ci a plusieurs facettes, pas toutes négatives, mais son noyau commun est la conviction que l’espèce humaine, grâce aux progrès de la technologie, est en passe de se surpasser radicalement, jusqu’à vivre pendant des siècles et peut-être pour toujours! Selon un de ses plus hauts  représentants, Zoltan Istvan, l’objectif final sera « devenir comme Dieu et vaincre la mort ». Un croyant juif ou chrétien ne peut pas ne pas penser immédiatement aux paroles, presqu’identiques, qui furent prononcées au début de l’histoire humaine: « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Vous serez comme des dieux » (cf. Gn 3,4-5), avec le résultat que nous connaissons.

3. La mort engloutie dans la victoire

Il existe un seul vrai remède à la mort, et nous, chrétiens, nous trompons le monde si nous ne le proclamons pas par la parole et la vie. Ecoutons comment l’apôtre Paul annonce au monde ce changement:

« Si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ […]. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes » (Rm 5, 12-17).

Le triomphe du Christ sur la mort est décrit avec encore plus d’envolée dans la première lettre aux Corinthiens :

« La mort a été engloutie dans la victoire ».  « Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? ». L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; ce qui donne force au péché, c’est la Loi. Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Co 15, 54-57).

Le facteur décisif est situé au moment de la mort du Christ : « Il est mort pour tous » (2 Co 5,15). Mais qu’est-il arrivé de si décisif à ce moment-là pour que le visage même de la mort change ? Nous pouvons imaginer la scène. Le Fils de Dieu est descendu dans la tombe, comme dans une sombre prison, mais il en est sorti en traversant le mur opposé. Il n’est pas retourné en arrière, il n’est pas passé par là où il était entré, comme Lazare qui doit néanmoins mourir à nouveau. Non, il a ouvert une brèche sur le versant opposé de l’éternité, par laquelle tous ceux qui croient en lui, peuvent le suivre.

Un ancien Père écrit: « Il a pris sur lui les souffrances de l'homme qui souffre, avec un corps capable de souffrir, et il a détruit les souffrances de la chair; par l'esprit incapable de mourir, il a tué la mort homicide”.[7] Et saint Augustin: « C’est par les souffrances que Jésus-Christ est passé de la mort à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie »[8]. La mort est devenue un passage et un passage à ce qui ne passe pas !  C’est bien dit par Chrysostome:

« Certes nous mourons comme avant, mais nous ne restons pas dans la mort: et cela ne veut pas dire mourir.  Il y a tyrannie de la mort et mort véritable lorsque les morts n’ont plus la possibilité de retourner à la vie. Mais si l’on vit à nouveau après la mort, et d’une vie meilleure, il ne s’agit plus de mort mais d’un endormissement ».[9]

Toutes ces façons d’expliquer le sens de la mort du Christ sont vraies, mais elles ne nous donnent pas l’explication la plus profonde. Cette explication, on doit la chercher plus dans ce que Jésus, par sa mort, est venu mettre dans la condition humaine, que dans ce qu’il est venu enlever; il faut la chercher dans l’amour de Dieu, pas dans le péché de l’homme. Si Jésus souffre et meurt d’une mort violente, qui lui est infligée par haine, il ne le fait pas seulement pour payer à la place des hommes leur dette insolvable (la dette des dix mille talents de la parabole, remise par le roi !); il meurt crucifié pour que la souffrance et la mort des êtres humains soient habitées par l’amour!

L’homme s’était condamné tout seul à une mort absurde et voilà qu’en entrant dans cette mort il découvre que celle-ci est désormais imprégnée de l’amour de Dieu. L’amour n’a pu se passer de la mort, à cause de la liberté de l’être humain: l’amour de Dieu ne peut éliminer d’un coup de baguette magique la tragique réalité du mal et de la mort. Son amour est obligé de laisser la souffrance et la mort dire ce qu’elles ont à dire. Mais puisque l’amour est entré dans la mort et l’a remplie de la présence de Dieu, c’est désormais à l’amour que revient le dernier mot.

4. Ce qui a changé dans la mort

Qu’est-ce qui a donc changé, avec Jésus, par rapport à la mort ? Rien et tout ! Rien, pour ce qui est de la raison, et tout, pour ce qui est de la foi. La nécessité d’entrer dans la tombe n’a pas changé, mais on nous donne la possibilité d’en sortir. Comme l’illustre avec force l’icône orthodoxe de la résurrection dont nous voyons une interprétation moderne sur le mur gauche de cette chapelle. Le Ressuscité  descend aux enfers et entraîne au-dehors avec lui Adam et Eve, et derrière eux tous ceux qui s’agrippent à lui, dans les enfers de ce monde.

Cette scène montre le comportement paradoxal du croyant face à la mort, à la fois si semblable et si différent de tous les autres. Un comportement fait de tristesse, de peur, d’horreur, car il sait qu’il doit descendre dans cet abîme obscur; mais d’espérance aussi parce qu’il sait qu’il peut en sortir. « Si la certitude de devoir mourir nous attriste – dit la préface des défunts – la promesse de l’immortalité future nous console ». Aux fidèles de Thessalonique, affligés par la mort de certains d’entre eux, saint Paul écrivait:

« Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui. » (1 Th 4, 13-14).

Il ne leur demande pas de ne pas être affligés par la mort, mais de ne pas l’être « comme les autres », comme les non croyants. La mort, pour le croyant, n’est pas la fin de la vie mais le début de la vraie vie; ce n’est pas un saut dans le vide mais un saut dans l’éternité. La mort est une naissance et un baptême. C’est une naissance, parce que la vraie vie ne commence qu’à ce moment-là, cette vie qui ne va pas vers la mort mais dure pour toujours. C’est pourquoi l’Eglise ne célèbre pas la fête des saints le jour de leur naissance sur terre, mais le jour de leur naissance au ciel, leur « dies natalis ». Entre une vie de foi dans le temps et la vie éternelle il y a le même rapport que celui qui existe entre la vie de l’embryon dans le sein maternel et celle de l’enfant, une fois né. Cabasilas écrit :

« Ce monde porte en lui le nouvel homme intérieur, celui qui a été créé par Dieu, afin que, façonné et conformé ici-bas, il est enfin enfanté pour un monde parfait et éternellement jeune. De même que la nature prépare l’embryon, tant qu’il est dans une vie obscure, pour une vie dans la lumière, de même en est-il des saints »[10].

La mort est aussi un baptême. Jésus parle de sa mort en disant : « Je dois recevoir un baptême » (Lc 12,50). Saint Paul parle d’un baptême « dans la mort du Christ »  (Rm 6,4). Autrefois, au moment du baptême, la personne était entièrement immergée dans l’eau; tous les péchés et tout le vieil homme étaient ensevelis dans l’eau et il en ressortait une créature toute neuve, symbolisée par la tunique blanche qu’il devait porter. C’est la même chose pour la mort: la chenille meurt et naît le papillon. Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé » (Ap 21, 4). Tout est enseveli à jamais.

Pendant des siècles, surtout après le XVIIème siècle, un aspect important de l’ascèse catholique consistait en une « préparation à la mort », c’est-à-dire à méditer sur la mort, en décrivant ses divers stades et son avancée inexorable de la périphérie du corps jusqu’au cœur. Presque toutes les peintures de saints datant de cette période, on voit une tête de mort placée à côté d’eux. Même François d’Assise qui avait appelé la mort sa « sœur ».

Le cimetière des Capucins de Via Veneto, reste une des attractions touristiques de Rome. Il est indéniable que tout cela peut constituer un rappel encore utile à une époque aussi sécularisée et insouciante que la nôtre; surtout si on lit comme un avertissement l’inscription surmontant un des squelettes dans ce cimetière: « Ce que tu es, je fus; ce que je suis, tu seras ».

Tout cela a donné le prétexte à certains de dire que le christianisme s’impose par la peur de la mort. Mais c’est une terrible erreur. Le christianisme, nous l’avons vu, n’est pas fait pour  augmenter la peur de la mort, mais pour l’enlever; Jésus-Christ, dit la Lettre aux Hébreux, est venu « libérer tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2,15). Le christianisme trace sa route non pas avec la pensée de notre mort, mais avec celle de la mort du Christ !

C’est pourquoi, il est plus efficace de méditer sur la passion et la mort de Jésus que sur notre mort à nous. Et nous devons dire, en l’honneur des générations qui nous ont précédés, qu’une telle méditation était une pratique courante aussi dans la spiritualité, aux siècles que nous venons d’évoquer. Cette méditation suscite émotion et gratitude, et non de l’angoisse; elle nous fait dire, comme à l’apôtre Paul: « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ! »  (Ga 2, 20).

Voici un « pieux exercice » que j’aime recommander durant le Carême : prendre un Evangile et, pour soi-même, lire un récit de la Passion calmement et en entier. J’ai connu une dame, une intellectuelle, qui se disait athée. Un jour lui est tombée dessus une de ces nouvelles qui vous laissent comme morts: sa fille de seize ans était atteinte d’une tumeur osseuse. On l’opère. Elle reviendra de la salle d’opération ravagée, avec des tuyaux, des sondes et des perfusions partout. Elle souffre terriblement, gémit et ne veut entendre aucune parole de réconfort.

Sa maman, la sachant pieuse et religieuse, lui propose: « Veux-tu que je te lise quelque chose de l’Evangile ? ». « Oui, maman! ». « Quoi ? ». « Lis-moi la Passion ». Cette dame, qui n’avait jamais lu un évangile, court en acheter un chez les aumôniers; elle s’assoit à son chevet et commence à lire. Au bout d’un petit moment sa fille s’endort, mais elle, elle poursuit sa lecture, dans la pénombre, en silence, jusqu’au bout. « La fille s’endormait – dira-t-elle plus tard, dans le livre qu’elle a écrit après la mort de sa fille –, et la maman se réveillait ! » Elle se réveillait de son athéisme. La lecture de la Passion du Christ avait changé sa vie à jamais[11].

Terminons par la simple mais intense prière de la liturgie: « Adoramus te, Christe, et benedicimus tibi, quia per sanctam crucem tuam redemisti mundum ». « Nous t'adorons ô Christ et nous te bénissons parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde ». (Traduction agence Zenit)

 

 








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