2017-03-31 11:44:00

La 4e méditation de Carême du père Cantalamessa


(RV) Voici une traduction intégrale de la méditation proposée à la Curie romaine par le père Raniero Cantalamessa en ce 4e vendredi du Carême, sur le thème : "L'Esprit Saint nous introduit au mystère de la Résurrection du Christ".

«Dans les deux premières méditations de Carême nous avons réfléchi à l’Esprit Saint qui nous introduit à la pleine vérité sur la personne du Christ, nous faisant proclamer qu’il est «Seigneur» et «vrai Dieu». Dans la suivante nous sommes passés de «l’être» à «l’agir» du Christ, de sa personne à son œuvre, réfléchissant tout particulièrement à sa mort rédemptrice. Aujourd’hui nous proposons une méditation sur le mystère de sa résurrection et de la nôtre.

Saint Paul attribue ouvertement la résurrection de Jésus d’entre les morts à l’œuvre de l’Esprit Saint. Il dit que Jésus Christ «selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts» (Rm 1,4). En lui, Jésus, s’est réalisée la grande prophétie d’Ezéchiel sur l’Esprit qui entre dans les ossements desséchés, les ressuscite de leurs tombeaux et fait d’une multitude de morts «une armée immense» de ressuscités à la vie et à l’espérance (cf. Ez 37,  1-14).

Mais ce n’est pas sur cette ligne que je voudrais poursuivre ma méditation. Faire de l’Esprit Saint le principe inspirateur de toute la théologie ne signifie par faire entrer de force l’Esprit Saint dans toute affirmation, en le citant à tout bout de champ. Cela serait contraire à la nature du Paraclet qui, comme la lumière, éclaire chaque chose en restant lui-même, pour ainsi dire, dans l’ombre, comme derrière les coulisses. Plus que parler "de" l’Esprit Saint, la Théologie du troisième article consiste à parler "dans" l’Esprit Saint, avec tout ce que ce simple changement de préposition comporte.

1. La résurrection du Christ : approche historique

Disons d’abord quelques mots sur la résurrection du Christ en tant que «fait historique». Pouvons-nous définir la résurrection "un événement historique", dans le sens commun de ce terme, c’est-à-dire un fait qui s’est réellement produit dans le temps et l’espace, par opposition à "mythique" ou "légendaire" ? Pour le dire dans les termes utilisés lors de récentes discussions : Jésus n’est-il ressuscité que dans le kérygme, c’est-à-dire dans l’annonce de l’Église (comme quelqu’un a dit dans le sillage de Rudolf Bultmann), ou alors est-il ressuscité aussi dans la réalité et dans l’histoire ? Mais encore: est-ce lui qui est ressuscité, la personne de Jésus, ou n’est ressuscité que sa cause, dans le sens métaphorique où le verbe "renaître" signifie "survivre", ou "retour" victorieux d’une idée, après la mort de celui qui l’a proposée?

Voyons donc dans quel sens on peut parler d’une approche historique à la résurrection du Christ. Non parce que quelqu’un, parmi nous, ici, aurait besoin de s’en persuader, mais, comme dit Luc au début de son Évangile, «pour que nous puissions nous rendre bien compte de la solidité des enseignements que nous avons entendus» (cf. Lc 1, 4) et que nous transmettons aux autres.

La foi des disciples, à part quelque exception (Jean, les pieuses femmes), ne résiste pas à l’épreuve de sa tragique fin. Avec la passion et la mort, l’obscurité recouvre tout. Leur état d’âme transparait dans les paroles des deux disciples d’Emmaüs: «Nous espérions que c’était lui... mais voici le troisième jour qui passe» (Lc 24, 21). Nous sommes à un point mort de la foi. La question "Jésus" est considérée comme une affaire "classée".

Maintenant – toujours en bon historiens – déplaçons-nous dans le temps, de quelques semaines. Qui rencontrons-nous? Un groupe d’hommes, le même que celui qui avait été aux côtés de Jésus. Ce groupe ne cesse de répéter, à voix haute, que Jésus de Nazareth c’est lui le messie, le Seigneur, le Fils de Dieu; qu’il est vivant et qu’il viendra juger le monde. Le cas de Jésus est non seulement rouvert, mais il est porté rapidement à une dimension absolue et universelle. Cet homme intéresse non seulement le peuple d’Israël, mais tous les hommes de tous les temps. «Il est la pierre vivante rejetée par les hommes, – dit saint Pierre – mais choisie et précieuse devant Dieu» (1 P 2, 4), c’est-à-dire le commencement d’une nouvelle humanité. Dorénavant, qu’on le sache ou pas, en aucun autre nom donné aux hommes sous le ciel, nous pouvons avoir le salut  sinon en celui de Jésus de Nazareth (cf. Ac 4, 12).

Qu’est-ce qui a déterminé un changement tel que les mêmes hommes qui avaient renié Jésus ou avaient fui, disent maintenant publiquement ces choses, fondent des Eglises, vont même jusqu’à se laisser emprisonner, flageller, tuer pour lui ? Ceux-ci nous donnent, en chœur, cette réponse: «Il est ressuscité, nous l’avons vu !» La dernière chose que puisse faire l’historien avant de céder la parole à la foi, c’est de vérifier cette réponse.

La résurrection est un événement historique, dans un sens très particulier. Celle-ci est à la limite de l’histoire, comme ce fil qui divise la mer de la terre ferme. Elle en est à la fois dedans et dehors. Avec elle, l’histoire s’ouvre à ce qui est au-delà de l’histoire, à l’eschatologie. Elle est donc, en quelque sorte, la rupture de l’histoire et son dépassement, comme la création est son début. Ceci fait que la résurrection est un événement dont ne peut, en soi, témoigner, un événement qu’on ne peut pas saisir avec nos catégories mentales qui sont toutes liées à l’expérience du temps et de l’espace. D’ailleurs personne n’assiste à l’instant où Jésus ressuscite. Personne ne peut dire avoir vu Jésus ressusciter, mais seulement de l’avoir vu ressuscité.

On ne connaît donc la résurrection qu’a posteriori. Comme la présence physique du Verbe en Marie montre le fait qu’il s’est incarné, la présence spirituelle du Christ dans la communauté prouvée par les apparitions, montre qu’il est ressuscité. Ceci explique le fait qu’aucun historien profane ne dit mot de la résurrection. Tacite, qui évoque pourtant la mort d’un «certain Christ» au temps de Ponce Pilate, ne dit rien de la résurrection. Cet événement n’avait de sens et d’importance que pour ceux qui vivaient l’expérience de ses conséquences, au sein de la communauté.

Alors dans quel sens parlons-nous d’une approche historique de la résurrection ? Deux faits donnent à l’historien la possibilité d’en faire cas et d’en parler: tout d’abord, la subite et inexplicable foi des disciples, une foi si tenace qu’ils résisteront à l’épreuve du martyre; deuxièmement, l’explication que les intéressés nous ont donné d’un tel changement. Un illustre exégète a écrit: «Au moment décisif, quand Jésus fut capturé et exécuté, les disciples ne nourrissaient aucune attente de résurrection. Ils prirent la fuite et déclarèrent que l’affaire de Jésus était close. Quelque chose a donc dû se produire très vite pour provoquer non seulement un changement radical dans leur esprit, mais aussi les porter à une toute nouvelle activité et à la fondation de l’Eglise. Ce ‘ quelque chose ‘ est le noyau historique de la foi de Pâques».

Il a été relevé à juste titre que nier le caractère historique et objectif de la résurrection ne ferait que rendre encore plus inexplicable le mystère de la naissance de la foi et de l’Eglise que la résurrection en soi : «L’idée que l’immense édifice de l’histoire du christianisme soit comme une énorme pyramide placée en équilibre sur un fait insignifiant est certainement moins crédible que d’affirmer que tout l’événement – autrement dit le fait et le sens qui l’accompagne – a réellement occupé une place dans l’histoire comparable à celle que lui attribue le Nouveau Testament».

Quel est alors le point d’arrivée de la recherche historique à propos de la résurrection ? Nous pouvons le trouver dans les paroles des disciples d’Emmaüs. Des disciples, le matin de Pâques, se sont rendus au tombeau de Jésus et ont vu que les choses étaient comme avaient dit les femmes qui y étaient allées avant eux, «mais lui, ils ne l’ont pas vu» (cf. Lc 24, 24). L’histoire aussi se rend au tombeau de Jésus et doit constater que les choses sont comme les témoins ont dit. Mais lui, le Ressuscité, elle ne le voit pas. Il ne suffit pas de constater historiquement les faits, il faut "voir" le Ressuscité, ce que l’histoire ne peut donner, mais seulement la foi. Qui, sur la terre ferme, arrive en courant au bord de la mer doit s’arrêter d’un coup ; il peut pousser plus loin avec les yeux mais pas avec les pieds.

2. Signification apologétique de la résurrection

En passant de l’histoire à la foi, change aussi la manière de parler de la résurrection. Le Nouveau Testament et la liturgie de l’Eglise tiennent un langage assertif, apodictique, qui ne se fonde pas sur des démonstrations dialectiques. «Maintenant le Christ est ressuscité d’entre les morts» (1 Co 15, 20), dit saint Paul. On est désormais sur le plan de la foi, et non plus sur celui de la démonstration. C’est ce que nous appelons le kérygme. «Scimus Christum surrexisse a mortuis vere», chante la liturgie le jour de Pâques: «Nous savons que le Christ est vraiment ressuscité». Non seulement nous croyons, mais ayant crû, nous savons qu’il en est ainsi, nous en sommes sûrs. Nous avons la preuve la plus sûre de la résurrection après, pas avant d’avoir cru, car nous expérimentons alors que Jésus est vivant.

Mais qu’est-ce que la résurrection  sous l’angle de la foi ? C’est le témoignage de Dieu sur Jésus Christ.  Dieu le Père qui, dans la vie, avait  déjà accrédité Jésus de Nazareth par des prodiges et des signes, appose maintenant un sceau définitif à sa reconnaissance, le ressuscitant d’entre les morts. Dans le discours d’Athènes, saint Paul le formule de la façon suivante: «Dieu l’a accrédité auprès de tous en le ressuscitant d’entre les morts.» (Ac 17, 31). La résurrection est le puissant "Oui" de Dieu, son « Amen » prononcé sur la vie de son Fils Jésus.

La mort du Christ n’était pas suffisante en soi pour témoigner la vérité de sa cause. Tant d’hommes – nous en avons une tragique confirmation aujourd’hui – meurent pour de mauvaises causes, voire pour des causes iniques. Leur mort n’a pas servi leur cause, ne l’a pas rendu vraie; elle a seulement témoigné qu’ils croyaient en sa vérité. La mort du Christ n’est pas la garantie de sa vérité, mais de son amour, car «il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime» (Jn 15, 13).

Seule la résurrection constitue le sceau de l’authenticité divine du Christ. Voilà pourquoi, à ceux qui lui demandaient un signe, Jésus répondit: «Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai» (Jn 2, 18 s). Et ailleurs dit: « Il ne sera donné à cette génération que le signe de Jonas” qui, après trois jours dans le ventre du poisson revit la lumière (Mt 16,4). Paul a raison d’édifier sur la résurrection, comme sur son fondement, tout l’édifice de la foi: «Si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est sans valeur. Nous faisons figure de faux témoins de Dieu... Nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes» (1 Co 15, 14-15.19). On comprend pourquoi saint Augustin peut dire que «la résurrection de Jésus est le cœur de la foi chrétienne». Que Jésus est mort, tout le monde le croit, même les païens, mais qu’il est ressuscité, seuls les chrétiens le croient, et n’est pas chrétien qui ne le croit pas.

3. Signification mystérique de la résurrection

Jusqu’ici nous avons la signification apologétique de la résurrection du Christ, c’est-dire visant à établir l’authenticité de la mission du Christ et la légitimité de sa revendication divine. Mais il faut ajouter à ce sens une tout autre signification que nous pourrions appeler mystérique ou salvifique, dans la mesure où cela nous touche nous aussi qui y croyons. La résurrection du Christ nous concerne et elle est un mystère «pour nous», car  elle fonde l’espérance de notre propre résurrection après la mort:

«Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous» (Rm 8,11).

La foi dans la résurrection des morts et dans une vie ultra-terrestre n’apparaît, de manière claire et explicite, que vers la fin de l’Ancien Testament. Le propos rapporté dans le deuxième livre des Martyrs d’Israël (Maccabées) en est pas le témoignage le plus avancé: «Après notre mort — s’exclame un des sept frères tués sous Antiochus — (Dieu) nous ressuscitera pour une vie éternelle» (cf. 7,1-14). Mais cette foi ne naît pas soudainement, du néant; elle s’enracine vitalement dans toute la révélation biblique précédente, dont elle représente la conclusion attendue et, pour ainsi dire, le fruit le plus mûr.

Deux certitudes firent arriver à cette conclusion: la certitude de la toute puissance de Dieu et celle de l’insuffisance de la rétribution terrestre. Il apparaissait de plus en plus clairement — surtout après l’expérience de l’exil — que le sort des bons ici-bas était tel que, sans l’espérance d’une rétribution différente des jutes après la mort, il serait impossible de ne pas tomber dans le désespoir. Dans cette vie, en effet, tout arrive de la même façon, que l’on soit juste ou impie, le bonheur comme le malheur. Le livre de l’Ecclésiaste (Qohélet) représente la plus lucide des expressions de cette amère conclusion (cf. Qo 7, 15).

Ce que pense Jésus sur la question apparaît dans la discussion avec les Saduccéens sur le cas de la femme qui avait eu sept maris (Lc 20, 27-38). Respectant la révélation biblique plus ancienne de Moïse, ils n’avaient pas accepté la doctrine de la résurrection des morts qui représentait pour eux une nouveauté. En s’appuyant sur la loi du lévirat (Dt 25: la femme restée veuve, sans avoir de fils, est mariée à son beau-frère), ils imaginent le cas limite d’une femme passée, de cette façon, par sept maris. À la fin, certains d’avoir démontré l’absurdité de la résurrection, ils demandent: «À la Résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse ?»

Sans s’écarter du terrain choisi par les adversaires, en quelques mots, Jésus révèle d’abord où est l’erreur des sadducéens et la corrige, puis il donne à la foi en sa résurrection son fondement le plus profond et le plus convaincant. Jésus se prononce sur deux choses: sur la manière et sur le fait de la résurrection. Quant au fait qu’il y aura une résurrection des morts, il rapporte l’épisode du buisson ardent, dans lequel Dieu se proclame «Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob». Si Dieu  se proclame «Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob», quand Abraham, Isaac et Jacob sont morts depuis des générations, et si, par ailleurs, «Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants», alors cela veut dire qu’Abraham, Isaac et Jacob vivent quelque part et un jour ressusciteront!

Mais plus que sur la réponse de Jésus aux sadducéens, la foi en la résurrection se fonde sur le fait même d’être lui-même ressuscité d’entre les morts. «Si nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts, s’exclame Paul, alors, comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité» (1 Co 15, 12-13). Il est absurde de penser à un corps, dont la tête règne glorieusement au ciel et le reste est laissé pourrir éternellement sur la terre ou finir dans le néant.

La foi chrétienne en la résurrection des morts répond, d’ailleurs, au désir le plus instinctif du cœur humain. Paul dit que nous ne voulons pas nous dévêtir de notre corps, mais revêtir un vêtement par-dessus l’autre, c’est-à-dire que nous ne voulons pas survivre avec une seule partie de notre être — l’âme —, mais avec tout notre "moi", corps et âme; nous ne voulons donc pas que notre être mortel soit détruit, mais qu’il «soit absorbé par la vie», et celui-ci se revêt alors d’immortalité (cf. 2 Co 5, 1-5; 1 Co 15, 51-53).

Dans cette vie, nous n’avons pas qu’une promesse de vie éternelle, nous avons aussi "les prémices" et des "arrhes". Il ne faudrait jamais traduire le mot grec arrabôn utilisé par saint Paul à propos de l’Esprit (2 Co 1, 22; 5,5; Ep 1,14) par «gage» (pignus), mais seulement par «arrhes» (arra). Saint Augustin a bien expliqué la différence. Un gage, dit-il, n’est pas le début d’un paiement, mais quelque chose qui est donné en attendant qu’on paie; une fois le paiement effectué, le gage déposé est rendue. Ce n’est pas comme un acompte. Celui-ci n’est pas rendu au moment du paiement, mais complété. Il fait déjà partie du paiement. «Si Dieu nous a donné comme première avance l’amour par l’opération de son Esprit, est ce qu’il nous ôtera cette première avance lorsque la réalité entière nous sera donnée ? Nullement. Il complètera plutôt ce qu’il a déjà donné».

Comme «les prémices» annoncent la pleine récolte et font partie d’elle, les arrhes font partie de la pleine possession de l’Esprit. C’est «l’Esprit qui habite en nous» (cf. Rm 8,11), plus que l’immortalité de l’âme qui assure, comme on le voit, la continuité entre notre vie présente et notre vie future.

Pour ce qui est de la manière dont se passe la résurrection, à cette même occasion Jésus affirme la condition spirituelle des ressuscités: «Ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection» (Lc 20, 35-36).

On a tenté d’illustrer le passage de la condition terrestre à celle de ressuscités par des exemples tirés de la nature: la semence d’où jaillit l’arbre, la nature morte en hiver qui renaît au printemps, la chenille qui se transforme en papillon. Paul se limite à dire: «Ce qui est semé périssable ressuscite impérissable ; ce qui est semé sans honneur ressuscite dans la gloire ; ce qui est semé faible ressuscite dans la puissance ; ce qui est semé corps physique ressuscite corps spiritual» (1 Co 15, 42- 44).

La vérité c’est que tout ce qui concerne notre condition dans l’au-delà reste un mystère impénétrable; non parce que Dieu a voulu nous le cacher, mais parce que, contraints comme nous le sommes, à ranger toute chose dans les catégories du temps et de l’espace, il nous manque les outils pour nous le représenter. L’éternité n’est pas une entité à part que l’on peut définir, comme s’il s’agissait d’un prolongement du temps à l’infini. C’est la manière d’être de Dieu. Dieu est l’éternité ! Entrer dans la vie éternelle signifie tout simplement être admis, par grâce, à partager la manière d’être de Dieu.

Tout cela ne serait pas possible si l’éternité n’était pas entrée d’abord dans le temps. C’est en Jésus Christ et grâce à lui que nous pouvons revêtir la manière d’être de Dieu. Saint Paul imagine ce qui l’attend après la mort comme un «partir pour être avec le Christ» (Ph 1,23). On en déduit la même chose de la parole de Jésus au bon larron: «Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis» (Lc 23, 43). Le paradis c’est être «avec le Christ», comme ses «cohéritiers». La vie éternelle ce sont les membres qui se rattachent à la tête, c’est être avec lui dans la gloire, après avoir été unis à lui dans la souffrance (Rm 8,17).

Une petite histoire sympathique d’un écrivain moderne allemand nous aide à avoir une idée de la vie éternelle plus que toute tentative d’explication rationnelle. Dans un monastère médiéval vivaient deux moines liés entre eux par une profonde amitié spirituelle. L’un s’appelait Rufus et l’autre  Rufinus. Ils passaient leur temps libre à essayer d’imaginer comment serait la vie éternelle dans la Jérusalem céleste. Rufus, qui était un maître d’œuvre, se l’imaginait comme une ville avec des portes en or, sertie de pierres précieuses; Rufinus qui était organiste, comme un lieu rempli de célestes mélodies.

A la fin ils firent un pacte: le premier qui décèderait devait revenir la nuit suivante pour garantir à l’autre que les choses étaient exactement comme ils se l’imaginaient. Un seul mot suffisait. Si c’était comme ils pensaient, il devait dire: taliter!, c’est-à-dire "parfaitement"; s’il en était autrement – mais la chose était absolument impossible – il devait dire: aliter, "diffèrent"!

Un soir, tandis qu’il était à son orgue, le cœur de Rufin s’arrêta. Son ami, anxieux, veilla toute la nuit, mais rien; il attendit en veillant et jeûnant pendant des semaines et des mois, mais rien. Finalement, à l’anniversaire de sa mort, voilà que son ami apparut dans sa cellule, de nuit, dans un halo de lumière. Devant son mutisme, il prit la parole et lui demanda, sûr d’avoir une réponse affirmative: «taliter? Alors c’est comme ça ?» Mais l’ami secoue la tête négativement. Désespéré, il crie: «aliter? C’est différent ?» Nouveau signe négatif de la tête. Et enfin, des lèvres fermées de l’ami sortent, comme dans un souffle, deux mots: Totaliter aliter: Totalement autre! C’est tout autre chose! Rufus comprend d’un trait que le ciel est infiniment plus que ce qu’ils avaient imaginé, indescriptible, et peu de temps plus tard il meurt à son tour, dans le désir de le rejoindre.

Ce récit, naturellement, est une légende, mais son contenu a une résonnance totalement biblique. «Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, c’est ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé» (cf. 1 Co 2, 9). Saint Syméon, le Nouveau Théologien, un des saints les plus aimés dans l’Église orthodoxe, eut un jour une vision; il était sûr d’avoir contemplé Dieu en personne et, sûr qu’il ne pouvait y avoir rien de plus grand et rayonnant, déclara: «Si le ciel n’est que cela, cela me suffit!» Le Seigneur lui répondit : «Tu es vraiment mesquin de te contenter de cela. Ta joie d’aujourd’hui, comparée à celle à venir, est comme un ciel dessiné sur une feuille en comparaison du vrai ciel.»

Quand on veut traverser un bras de mer, disait saint Augustin, le plus important n’est pas de rester sur le bord et de scruter ce qu’il y a de l’autre côté, mais de monter sur le bateau qui conduit à l’autre rive. Et pour nous aussi, le plus important n’est pas de spéculer sur comment sera notre vie éternelle, mais de faire les choses qui, nous le savons, conduisent vers elle. Que notre journée d’aujourd’hui soit un petit pas vers elle. Amen.

(CV- Traduction de Zenit)








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