2017-07-03 13:16:00

Tchad: N’Djamena, un archidiocèse sans cathédrale


(RV) « Je suis un archevêque sans cathédrale…pour combien de temps ? Dieu seul sait ! ». C’est ainsi que s’exprime, avec humour, l’archevêque de N’Djamena, Mgr Edmond Goethbe Djitangar, dans une Lettre adressée « aux amis et partenaires de l’archidiocèse de N’Djamena », lors de son dernier déplacement à Rome pour revoir le pallium des mains du Pape François (29 juin 2017). L’humour est pourtant accompagné de « pincement de cœur » car l’archidiocèse de N’Djamena est actuellement sans cathédrale. L’église-cathédrale est en effet en chantier depuis 2013, mais la reprise des travaux tarde, faute des moyens financiers. Voilà pourquoi Mgr Djitangar lance un appel à l’aide.

Bénie en 1965, celle qu’on appelait  alors Cathédrale Notre Dame de l’Assomption, a été atteinte par une bombe incendiaire en 1980, au cours de la guerre civile de 1979-1985 qui a ensanglanté le Tchad. l’incendie a provoqué l’écroulement de la toiture faite en charpente de bois et de tuiles. Après des efforts, la cathédrale a été restaurée et dédicacée à « Notre Dame de la Paix » en 1986. « Mais les dommages de l’incendie demandaient de travaux plus conséquents pour que toutes les structures du bâtiment soient opérationnelles et abritent les services diocésains comme auparavant. » Le gouvernement tchadien, qui s’était engagé à reconstruire les édifices détruits par la guerre, avait accepté de prendre en charge totale la reconstruction de la cathédrale à l’identique de l’originel. « Les travaux devaient coûter 7 200 000 000 frs CFA, soit environ 11 millions d'euros et durer18 mois ». Mais avec la crise financière, due à la chute du cours du pétrole, le chantier de la cathédrale a été fermé, il y a bientôt quatre ans.

Entre-temps, les fidèles de cette juridiction prient et exercent d’autres activités paroissiales sous une Tente. Mais la Tente-Cathédrale a vieillit et le coût de l'électricité va s’augmentant. La prise de possession canonique du siège métropolitain de N’Djamena par Mgr Djitangar en février 2016 a même été organisée dans une autre paroisse, pour des raisons de commodité.

« A quand la reprise des travaux de la Cathédrale ? » C’est la question que les fidèles adressent souvent à leur archevêque, au cours de ses visites pastorales. A son tour, Mgr Djitangar sensibilise les chrétiens, afin qu’ils apportent leur contribution. Une commission a été mise en place pour la levée des fonds auprès des communautés locales comme auprès des autres communautés religieuses du pays et des pouvoirs publics.

Mais Mgr Djitangar compte aussi sur l’Eglise universelle et sur les bonnes volontés, afin de reconstruire cet édifice religieux, car les enjeux sont grands souligne l’archevêque de N’Djamena. « De cette restauration de la cathédrale de N’Djamena, dépendra la visibilité de notre Église du Tchad, de son respect et de son enracinement dans la société  tchadienne. Son poids et son engagement pour la promotion socioculturelle des populations sont reconnus de tous. »

La réalisation de cette restauration permettra de tourner la page de la guerre et d’entrer dans une dynamique de la paix, peut-on encore lire dans Lettre adressée « aux amis et partenaires de l’archidiocèse de N’Djamena », qui est accompagnée d’une fiche technique.

(KS)

Voici l’intégralité de la Lettre de Mgr Djitangar, accompagnée de la fiche technique :

 

Lettre  Aux amis et partenaires de l'archidiocèse de N'djamena

                                Frères et sœurs bien chers dans le Christ

Je viens me présenter à vous en toute simplicité comme le nouveau pasteur de l’Eglise-Famille de Dieu qui est à N’Djamena (Tchad), successeur sur ce siège métropolitain de:

-           Mgr Paul-Pierre-Yves DALMAIS (1957-1980),

-           Mgr Charles VANDAME (1981-2003),

-           Mgr Mathias NGARTERI Mayadi (2003-2013)

Je suis Mgr DJITANGAR GOETBE Edmond, évêque de  Sarh  de 1991 à 2016. J’ai été transféré au siège métropolitain de N'Djaména le 20 août 2016. J'en ai pris possession le 15 octobre 2016. Je me trouve actuellement en Italie en attente de la célébration eucharistique  de remise du pallium, présidée par le Saint-Père le 29 juin prochain.

La prise effective du pallium se fera ultérieurement, selon les nouvelles dispositions, au cours d’une Eucharistie solennelle, dans notre Église-Cathédrale de N'Djaména. Cette célébration me donnera le même pincement de cœur que j’ai éprouvé le 15 octobre dernier, lors de la prise de possession du siège métropolitain de N'Djaména. C’est parce que notre église-cathédrale est en chantier depuis 2013. Mais un chantier suspendu pour une reprise…sine die.

Les fidèles de la paroisse-cathédrale se sont sentis humiliés et ont protesté, à raison, que la cérémonie de prise de possession ait  lieu dans une paroisse autre que la cathédrale. En effet, la tente qui sert de lieu de culte provisoire ne pouvait accueillir qu’un nombre limité de fidèles et pour cette raison, la célébration avait été organisée à la Paroisse Sacré Cœur de Chagoua...et la situation reste la même avec la réception du pallium.

Je l’ai dit avec humour à mes confrères évêques du Tchad et des pays voisins présents à la célébration : « Je suis un archevêque sans cathédrale ...pour combien de temps, Dieu seul sait ! ». Après 8 mois de présence pastorale à N’Djamena, j’ai mesuré combien cette situation est pénible pour toute notre Église diocésaine et pour tous les fidèles catholiques de passage à N’Djamena. Un petit rappel historique de cette cathédrale permettra de comprendre comment cette situation est née et s'est développée pour aboutir au point où nous en sommes.

A l’origine, on ne parlait pas encore de cathédrale puisque Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djamena) n’était que  «  la mission centrale » d’un territoire en voie d’évangélisation. Le projet de construire une église dédiée à Notre Dame des Victoires est né en 1942, de l'initiative de quelques officiers français réunis autour du colonel LECLERC (devenu plus tard général puis maréchal de France).Ils étaient partis de Fort-Lamy avec une colonne de volontaires français et de "tirailleurs"(soldats indigènes) de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) pour rallier la France Libre.

Après les campagnes victorieuses en Tripolitaine(Lybie), un  « Comité local pour la construction d’une église à Fort-Lamy » fut créé et sera chargé de recueillir des fonds sous forme de souscription afin de commencer les travaux de construction. Les choses vont trainer à la fin de la guerre (peut-être à cause de la mort tragique du maréchal Leclerc).

En 1951, Mgr Joseph du BOUCHET alors Préfet apostolique de Fort-Lamy, relancera le projet en l’orientant vers une future cathédrale dédiée à Notre Dame de l'Assomption. En 1958 l'archidiocèse de Fort Lamy fut érigé et le premier archevêque, Mgr Paul DALMAIS, va s’engager à fond dans la recherche des financements et portera l’œuvre à accomplissement. La cathédrale Notre Dame de l’Assomption sera  bénie le 28 mars 1965.

La guerre civile qui a ensanglanté  le pays de 1979 à 1985 va mettre la cathédrale de N’Djamena dans une position délicate. Elle se trouvait dans la ligne de démarcation des principaux groupes belligérants et constituait le lieu de croisement des tirs…Sa crypte a servi de lieu de rencontre de belligérants pour une tentative de négociation éphémère…Le 30 avril 1980, une bombe incendiaire l’atteindra et provoquera un grand incendie qui fera écrouler la toiture faite en charpente de bois et de tuiles. Ce fut une grande consternation pour toute l’Eglise du Tchad.

A la fin de la guerre civile. Mgr Charles VANDAME, nouvel archevêque de N’Djamena,  entreprendra une collecte de fonds pour une restauration de la cathédrale. Avec la contribution de l’Eglise universelle et des autres Eglises locales (les diocèses du Tchad y ont apporté leur modique contribution de 1500 dollars US), la toiture sera rabaissée, réduite de moitié et faite d’une charpente métallique et des tôles.

La cathédrale restaurée sera dédicacée à « Notre Dame de la Paix »le 6 décembre 1986. Mais les dommages  de l’incendie demandaient de travaux plus conséquents pour que toutes les structures du bâtiment soient opérationnelles et abritent les services diocésains comme auparavant. Quatre curés vont se succéder et feront de leur mieux pour qu’une vie paroissiale effective soit possible.

Quand Mgr Mathias NGARTERI, premier archevêque tchadien de N’Djamena prendra la charge de l'archidiocèse, les fidèles catholiques et le clergé de N’Djamena vont lui exprimer ouvertement leur désir de remettre la toiture de la Cathédrale comme elle était avant la guerre. Le gouvernement qui grâce à la manne pétrolière s’était engagé dans une grande œuvre de reconstruction des édifices détruits par la guerre, a accepté de prendre en charge totale, la reconstruction de la cathédrale à l’identique de l’originel. Les travaux devaient coûter 7 200 000 000 frs CFA, soit environ 11 millions d'euros et durer18 mois.

Le chantier est confié aux groupements des entreprises SOGEA-SATOM et les travaux ont effectivement démarré le 22 juillet 2013. Pour permettre la réalisation de l'ouvrage qui avait et  devait durer, les paroissiens de la cathédrale ont emménagé sous une grande Tente dressée non loin de là pour continuer provisoirement  leurs activités pastorales ordinaires. Mais avec la crise financière due  à la chute du prix du baril de pétrole, le chantier de la cathédrale fut un des tout premiers à fermer…quelques mois après son démarrage…il y a bientôt quatre ans.

La Tente-cathédrale a vieilli et a toujours plus besoin d'énergie électrique pour y maintenir un peu de fraîcheur et permettre des célébrations liturgiques (en 2015 les frais d'électricité  sont montés à 30.534 euros). Le remplacement de la tente et le renouvellement des générateurs d’électricité sont nécessaires mais leurs coûts  sont élevés. Mais engager de telles dépenses ne prolongera-t-il pas cette situation de précarité de notre Eglise du Tchad à travers le plus fort symbole de la présence chrétienne dans la capitale tchadienne ?

Nous comprenons que l’Etat tchadien, malgré sa bienveillance envers  l’Eglise catholique n’est pas près de sortir de la crise financière actuelle. Les mesures pour la juguler restent vaines parce que les causes de la banqueroute sont connues et aucune mesure appropriée n’a été prise et appliquée. A ma prise de possession du siège métropolitain, tous les regards étaient tournés vers l'archevêque pour prendre position dans cette situation. Une grève générale aux conséquences sociales très dure paralysait le pays depuis un mois et a duré jusqu’en décembre 2016.

La Conférence Episcopale du Tchad (CET) a, dans son traditionnel Message de Noel inviter les différents protagonistes sociopolitiques à un sursaut national pour engager un vrai dialogue social. Mais la tentation de violence reste permanente et la méfiance générale. Nos messages restent des cris dans le désert.

Dans mes rencontres et visites pastorales de ces huit mois de ministère épiscopal à N’Djamena, la question qui revenait toujours était: ”A quand la reprise des travaux du chantier de la Cathédrale?" Pour beaucoup, il fallait trouver les moyens de faire pression sur le gouvernement pour qu'il tienne sa promesse. Mais la réalité est, et nous le comprenons, que ce chantier n'est pas sa première préoccupation actuelle.

Nous avons commencé à  expliquer aux différentes communautés que ce n'est pas à l'Etat de nous construire une cathédrale puisque nous sommes dans un Etat laïc. Mais l’Etat, par bienveillance ou par devoir de réparation (dommage de guerre) a pris sur lui de nous aider à réhabiliter notre cathédrale. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés pour attendre une fin de chantier hypothétique.

Nous devons nous-mêmes nous organiser, avec l'aide de tous nos frères et sœurs catholiques du monde entier, pour poursuivre ce projet qui a été élaboré par nous, comptant d’abord sur nous et sur l’Eglise universelle. L’Etat était initialement prévu comme un des donateurs principaux pour y apporter sa contribution comme ce fut le cas de la première cathédrale. C’est en substance l’objet principal du message de Pâques que j'ai adressé aux fidèles de l'archidiocèse de N'Djaména.

Par un Acte, nous avons mis en place une commission chargée d’étudier les modalités concrètes de levée  des fonds auprès des communautés chrétiennes locales, des chrétiens tchadiens de l'extérieur, des autres communautés religieuses du pays et des pouvoirs publics. L'archevêque se donne la charge de toucher à travers les institutions romaines, toutes les Églises d'Europe,  d'Amérique, d'Asie et d'Afrique ainsi que les organismes de l'Eglise universelle,  susceptibles de nous aider  à reconstruire notre église-cathédrale.

Nous ne voulons pas remettre en question la contribution de l’Etat dans le projet et nous n’avons pas la prétention de le remplacer au niveau de l’apport financier, mais nous voulons tendre la perche pour que  le culte et les activités pastorales autour de la cathédrale reprennent leur cours rapidement. La reprise du chantier du projet sous une forme ou une autre ou une autre apaiserait le cœur des fidèles catholiques. Les aspects techniques et juridiques de la question seront discutés avec les partenaires impliqués dans le projet.

Les enjeux sont grands.

De cette restauration de la cathédrale de N’Djamena, dépendra la visibilité de notre Église du Tchad, de son respect et de son enracinement dans la société  tchadienne. Son poids et son engagement pour la promotion socioculturelle des populations sont reconnus de tous. Nous avons encore  l’ambition de faire plus et nous ne pouvons pas nous arrêter en si bon chemin.

L'histoire de cette cathédrale est un peu le reflet de l'histoire de notre pays, de son évolution sociale et culturelle. L’architecture de la cathédrale initiale avait  intégré de manière très heureuse à la modernité, le style de construction des cases en obus des Massa et des Mousgoum du sud-ouest car le Tchad est un carrefour de nations, de cultures et de religions.

La Cathédrale  et la Mosquée Malik Fayçal, à peu de distance l’une de l’autre, ont été pendant longtemps et devront continuer d’être, le symbole d'un Etat laïc où toutes les religions peuvent librement s'exprimer et vivre dans la cohabitation pacifique. Bien plus, la « Plate-forme des leaders religieux »institution d’Etat reste un cadre favorable de développement des bons rapports et de dialogue entre les fidèles de différentes confessions religieuses, pour une meilleure cohabitation pacifique des citoyens.

Les noms successivement donnés  à cette église devenue cathédrale montrent le parcours historique de l'Eglise catholique au Tchad. Elle est passée de "Notre Dame des victoires" (l'état de belligérance) à " Notre Dame de l'Assomption" (couronnement de l'évangélisation du pays) à "Notre Dame de la paix", hautement significative dans une région troublée par des conflits sanglants. La façade principale de ce qu’on voit de la Cathédrale aujourd’hui fait penser à deux mains qui se joignent pour implorer du ciel, la paix sur le Tchad.

Si ce projet de restauration se réalisait, nous aurons tourné à jamais la page des souvenirs douloureux de la guerre et nous entrerions véritablement dans la dynamique de la paix en la consolidant par les ferventes prières qui monteront de ce lieu de culte vers le Seigneur, par l’intercession de la Sainte Vierge Marie, sa Mère et notre Mère.

Cette petite présentation de notre projet accompagne un dossier plus technique qui sera soumis à l’appréciation de nos amis et partenaires pour que chacun s'imprègne de la nécessité de cette restauration de la Cathédrale Notre Dame de la Paix de N’Djamena, de l'immensité de la tâche qui nous attend et de l’incapacité de notre Eglise à réaliser ce projet toute seule.

                        Comment pensons-nous procéder

1.         Faire connaître cette situation et ce projet à nos supérieurs hiérarchiques et mettre à leur disposition les informations nécessaires pour nous aider à toucher  tous nos frères et sœurs de l’Eglise universelle, susceptibles de nous aider à avancer dans le projet.

2.         Créer un Comité local de réflexion et de suivi pour mettre en route un mécanisme de recueil de fonds auprès des communautés chrétiennes, des autres communautés religieuses et des personnes de bonne volonté, pour contribuer à la réalisation du projet.

3.         Créer dans la Diaspora tchadienne un Comité des tchadiens, des Anciens et Amis du Tchad dans chaque pays pour établir des réseaux de solidarité autour du projet.

4.         Entrer en négociations avec l’Etat pour la reprise des travaux de réhabilitation de la Cathédrale Notre Dame de la Paix en proposant notre contribution, fruit de ce que nous aurons récolté.

Ce qui nous tient à cœur c'est de reprendre possession de notre projet de redonner à cette cathédrale sa valeur de  symbole de la  foi des fidèles catholiques du Tchad : elle a été et restera  un signe de partage et de communion avec les frères et sœurs l'Église universelle et avec toutes les personnes de bonne volonté qui nous  aiderons pour sa réalisation. Nous n'avons pas de délais de temps...mais l’urgence du témoignage de la présence chrétienne au Tchad nous presse.

Que le Seigneur bénisse ce projet et tous ceux et celle qui vont contribuer à le réaliser et que Notre Dame de la Paix nous tienne tous unis les uns aux autres sous sa protection maternelle.

+ DJITANGAR Goetbé Edmond    

  Archevêque métropolitain de N’Djamena (Tchad)

 

 








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