Reportage : les jeunes Français à la découverte des chrétiens du Liban avec l'AED
(RV) Reportages – Marion, Jérémie, Clotilde, Guillaume, Aliette,
Philippe, Christelle, Romain. Ils ont entre 18 et 28 ans, et tous les huit ont choisi
de donner trois semaines de leur été pour l’AED, l’Aide à l’Église en Détresse. Pour
la première fois cette année, l’association française a proposé des missions estivales
dans six pays sur trois continents. L’objectif : faire découvrir aux 18-30 ans la
vie des Églises chrétiennes locales sur le terrain, et apporter une aide concrète
en Inde, Moldavie, Éthiopie, Égypte, Israël-Palestine et au Liban. Répondant à l’appel
du Pape François aux jeunes, lors des JMJ de Cracovie en 2016, de troquer son
canapé contre une paire de chaussures pour parcourir le monde, 50 jeunes sont partis
cet été agir auprès des chrétiens avec l’AED. Radio Vatican est allé suivre la mission
au Liban avec ces jeunes venus découvrir de plus près la vie des chrétiens d’Orient
dans un pays multiconfessionnel au cœur de l’actualité syrienne. Un dossier réalisé par Blandine Hugonnet.
Pendant trois semaines, huit
Français, étudiants ou travailleurs, sont allés à la rencontre du Liban, pays
cosmopolite, exemple de vivre-ensemble intercommunautaire entre chrétiens et musulmans,
pays frontalier de la Syrie qui subit de plein fouet les six années de guerre. Dans
le quartier de Nabaa, à Bourj Hammoud, dans le nord-est de Beyrouth, ils ont été accueillis
par l’Église maronite et les Sœurs de la Charité de Besançon qui agissent sur place
depuis 1975.
Ces huit jeunes ont été sélectionnés par l’AED pour partir au Liban. Un long processus
mis en place pour la première fois cette année par l’association française qui a ressenti
un besoin d’agir de la part des jeunes. Le projet a été organisé et porté par Caroline
Van Pradelles
Une mission d'aide aux plus démunis
Pour leur mission au pays du cèdre, les jeunes Français ont été accueillis par
les Sœurs de la Charité de Besançon, qui vivent pauvrement parmi les pauvres du quartier
multiconfessionnel de Nabaa. Dans leur quotidien, elles viennent en aide aux familles
en grande difficulté. Les huit Français ont ainsi accompagné les religieuses dans
leur action auprès des plus vulnérables. Reportage
L’entrée du sobre logement de cette famille se fait dans une petite rue. Les enfants
nous accueillent. C’est la maison d’Alice, avec son mari, ses petits-enfants et sa
fille qui vit presque chez elle. Sœur Nada, la sœur libanaise, nous introduit dans
ce deux-pièces sombre et encombré où la télé s’éteint et s’allume au rythme des coupures
régulières de courant devant les yeux patients des enfants. Depuis peu, les fils électriques
ont été raccordés et un réservoir d’eau installé avec l’aide des religieuses. Une
petite victoire pour cette famille qui tente de nous faire la démonstration, en vain,
du bon fonctionnement du nouveau disjoncteur. Alice nous parle et Sœur Nada traduit.
Cette femme âgée passe ses journées à ramasser des petites canettes de soda pour gagner
un peu d’argent. «Un kilo de canettes, c’est moins d’un dollar».
Matelas, machine à laver, nourriture, argent, aide scolaire… ici, les religieuses,
accompagnées cette fois-ci des jeunes de l’AED, apportent un soutien moral et matériel.
Nous allons ensuite rendre visite à la fille d'Alice, Hiba. Elle habite avec son mari
et ses trois jeunes enfants à l’angle de la rue, toujours au rez-de-chaussée. C’est
une toute petite pièce pour cinq, sombre et bercée par la chaleur humide où deux canapés
font office de lits. Hiba et son époux ont un petit garçon de deux mois, mais pas
de lit pour lui. Et surtout, lui n’a pas de travail. Il n’est pas Libanais, mais Égyptien,
nous explique Sœur Nada. L’homme n’a pas de papiers. Et sans papiers, impossible de
travailler, mais aussi de donner la nationalité libanaise à ses enfants. Hiba a beau
être Libanaise, au pays du cèdre, seul le père peut transmettre la citoyenneté. Une
mixité d’origines, ainsi que de religions. Le mari de la jeune-femme était musulman,
converti depuis peu au christianisme. Dans leur studio sommaire et exigu, une seule
étagère orne les murs sales. Dessus, un Coran, une image de la Vierge et le Christ.
Un multiconfessionalisme à l’image de ce quartier intercommunautaire de Nabaa et du
pays tout entier.
Pour aller voir la dernière famille de la matinée, il faut monter trois étages d’un
immeuble délabré. Passer devant les portes ouvertes de chaque appartement, saluer
et prendre des nouvelles des uns et des autres. Au troisième droite, Amale vit là,
dans une seule pièce d’une douzaine de mètres carrés. Son lit et celui de Noura, sa
fille de 19 ans, sont collés. Elle a perdu son mari il y a plus de dix ans, un musulman
syrien qui n’avait pas de papiers. Noura a ainsi dû faire un aller-retour en Syrie
pour régulariser sa situation et pouvoir passer son brevet. Entre deux ventilateurs
qui s’arrêtent à chaque coupure de courant, l’ancienne couturière nous accueille avec
des gâteaux traditionnels libanais. Sans assurance-maladie et sans emploi, c’est pour
l’aider à payer ses médicaments qu’elle a demandé l’aide des religieuses du quartier.
Depuis 1975, ces religieuses de la Congrégation Sainte-Jeanne-Antide agissent auprès
des habitants de ce quartier. Aujourd’hui elles sont trois, Sœur Nada, Sœur Samar
et Sœur Manar, deux Libanaises et une Égyptienne, qui vivent au cœur de cette pauvreté,
au milieu des immeubles aux stigmates encore visibles des balles de la guerre civile
de 1975-1990. Leur vocation : être présentes pour les plus démunis financièrement
ou matériellement, physiquement ou moralement, familialement ou spirituellement, chrétiens
ou musulmans, afin de les amener, à terme, à vivre de façon autonome.
Être une présence chrétienne forte
Sunnites, chiites, druzes, maronites, syriaques-catholiques, syriaques-orthodoxe,
protestants… Le Liban compte 18 rites différents sur son sol, entre musulmans et chrétiens.
Une cohabitation multiconfessionnelle que sont venus découvrir les huit jeunes Français
au cours de cet été 2017. Chez les chrétiens, le rite maronite est le plus répandu
au Liban. Entre les mosquées et les drapeaux islamiques, tout comme les Sœurs de la
Charité, la paroisse maronite de Mar Doumit (Saint Doumit), fait elle aussi figure
de repère pour les chrétiens libanais ou étrangers de ce quartier pauvre et intercommunautaire
de Nabaa-Bourj Hammoud. Reportage dans les rues de ce quartier de Beyrouth
Sœur Nada salue les membres d’une famille qu’elle vient voir souvent ici. Nous sommes
dans le quartier de Nabaa, quelques kilomètres carrés où les drapeaux jaunes du Hezbollah
côtoient les fanions arméniens et les slogans qui dénoncent le génocide de 1915. Ici,
clochers et minarets se côtoient de très près dans les cieux de fils électriques.
Une femme voilée passe devant une statue bleue de la vierge à un coin de rue. C’est
ça la vie de Nabaa.
Dans cet ancien marécage, étouffant d’humidité en plein été, les Sœurs de la Charité
représentent une présence catholique rassurante et ouverte et aident indifféremment
chrétiens et musulmans. Si la proximité des cultes est flagrante, pour autant, il
est loin d’être facile de changer de confession. Les conversions au christianisme,
les religieuses en accompagnent une dizaine par an. Ils étaient presque tous réunis
fin juillet pour un pèlerinage dans les montagnes au nord de Beyrouth. Pour certains,
c’est un chemin bien périlleux, comme pour Hassan, devenu Boulos qui signifie Paul
en arabe. Originaire d’un village sunnite extrémiste dans le nord du Liban, il est
obligé de cacher à sa famille ce changement radical qui pourrait lui coûter la vie.
Autour de lui, personne n’est au courant. Malgré les risques, ce Libanais de 24 ans
a choisi de se faire baptiser, c’était à Pâques cette année, dans la paroisse maronite
de Mar Doumit à Nabaa. Accompagné de sa jeune marraine Mary, amie chrétienne d’université,
il témoigne de son parcours de conversion.
Comme Hassan, une dizaine de catéchumènes se sont rassemblés pour ce pèlerinage à
Saint Charbel, un saint très populaire du Liban. Comme lui, certains sont menacés
par cette conversion au christianisme. Plusieurs ne sont d’ailleurs pas venus ce soir-là
pour la veillée. Une situation complexe que le Père Jean connaît bien. Celui qu’on
appelle Abouna (père en arabe) est curé de la paroisse maronite de Mar Doumit depuis
cinq ans, une paroisse très dynamique, au cœur de ce quartier de Nabaa. Même en plein
été, au milieu des grandes vacances, tous les jours, l’église est pleine à 18h pour
la messe. Un vrai lieu de vie pour toute une communauté, qui cherche aussi du soutien
face à l’arrivée massive de réfugiés syriens.
Dans cette paroisse
maronite, la plus grande communauté chrétienne du pays, collée à une école, des dizaines
d’enfants sont accueillis tout l’été pour du soutien scolaire et des jeux, encadrés
par des jeunes libanais très actifs dans leur communauté et aidé pendant quinze jours
par les jeunes de l’AED. Doucement, ils apprennent quelques mots de français et d’anglais,
grandissent en apprenant la diversité des langues, mais aussi la mixité des sept différents
rites chrétiens présents à Bourj Hammoud et la cohabitation avec l’Islam.
Être chrétien et Libanais
Qu’est-ce qu’être chrétien au Liban aujourd’hui? Dans le contexte des tensions
interreligieuses et des conflits au Proche et Moyen-Orient, le Liban fait figure d’exemple
de vivre-ensemble pacifique entre les communautés, pas moins de 18 cultes différents,
musulmans et chrétiens confondus. Pour autant, sur le plan politique, les divisions
sont justement liées aux diverses confessions, les fonctions officielles et administratives
étant distribuées sur la base de l’appartenance religieuse.
Dans ce système, les chrétiens ne se sentent pas assez représentés dans les institutions
libanaises. Entre crise de déchets, crise politique – le Liban n’a pas eu de président
pendant plus de deux ans et les élections législatives ont été à nouveau repoussées
à l’automne prochain - et difficultés matérielles au quotidien, les dysfonctionnements
du pays mettent aussi en difficulté de nombreux Libanais. Ainsi, les chrétiens se
doivent aujourd’hui d’être avant tout des citoyens qui défendent leurs droits. C’est
l’opinion de Mgr César Essayan, nommé évêque latin pour le Liban en octobre
dernier par le Pape François. Une charge complexe. Blandine Hugonnet, envoyée
spéciale au Liban, est allée l’interroger sur cette présence chrétienne
Être réfugié syrien au Liban
Six ans après le début de la guerre en Syrie, le Liban accueille aujourd’hui près
d’un million et demi de réfugiés, soit plus d’un tiers de la population libanaise.
Une arrivée massive qui a changé le visage de certains quartiers du pays du cèdre,
comme dans le nord-est de Beyrouth, à Bourj Hammoud, le quartier arménien de la capitale.
Rencontre avec une famille de Syriens réfugiés au Liban
Au premier étage d’un petit immeuble délabré dans ce quartier de Nabaa, Guillaume
qui participe à la mission de l’Aide à l’Église en Détresse au Liban, nous introduit
dans cet appartement. Un deux-pièces à l’aménagement sommaire, ici vit une famille
de quatre Syriens réfugiés au Liban.
«Je suis John de Syrie, avec moi ici au Liban il y a ma femme Ramya, Karam et
Carmen, mon fils et ma fille, Nous sommes ici depuis janvier… nous étions arrivés
à un point où on ne pouvait plus supporter la...»
Le début de l’entretien s’arrêtera là, avant le mot "guerre". Pendant de longues minutes,
John est parti à deux reprises en sanglots sur le balcon, soutenu par sa femme. L’ambiance
est lourde. Assis avec son fils de 14 ans et son épouse sur leurs lits qui font office
de canapé, il nous livre son histoire, les yeux toujours remplis de larmes et de colère.
John sait que son récit est aussi celui de milliers d’autres Syriens.
«Jour après jour, le cercle de la guerre grossissait, jusqu’à ce qu’il atteigne
nos vies. Et là tout à empirer. Nous avons dû affronter tellement de choses, c’était
horrible, vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que d’aller au travail et d’apprendre
qu’un missile vient de tomber à côté de l’école où est ton fils.»
John a décidé de fuir le jour où un missile est tombé sur son immeuble, puis un deuxième,
à côté de son appartement. Sous ses fenêtres du quatrième étage, des camions du régime
tirent des roquettes. Après des mois à tenir bon pour continuer à travailler, à aller
à l’école, à vivre dans leur maison, les quatre Syriens abandonnent toute une vie
en un instant. Parce que si John se préoccupe peu de sa vie ou sa mort, pour ses deux
enfants, il a choisi la vie, donc la fuite.
«La mort et la vie c’est la même chose pour moi, nous vivons uniquement pour nos
enfants, il y avait tellement d’explosions. Comment pouvions-nous échapper à cette
situation ? On n’avait pas décidé de partir de Syrie, mais on a été obligés de laisser
nos proches, notre famille, nos amis et notre maison. Il n’y avait pas le choix. Il
faut fuir, et avoir le courage de prendre la décision de partir.»
Il n’avait pas le choix, c’est le refrain de cet homme poivre et sel au regard intense,
entre deux cigarettes. Dans la chaleur moite de l’après-midi, John se souvient de
sa vie tranquille de chrétien à Damas avant la guerre qui a débuté en 2011 en Syrie.
Mais aujourd’hui, vivre comme chrétien dans son pays, ce n’est de toute façon plus
possible.
«Avant la guerre, il n’y avait pas de problème, nous pouvions aller à la messe
sans avoir peur, mais nous ne sommes pas allés à une célébration depuis trois ans
en Syrie, parce qu’on a peur des explosions et des bombardements. La guerre a tout
changé. Comme nous, plus de la moitié des chrétiens de Damas sont partis. Beaucoup
de nos proches espèrent encore quitter le pays, mais ils n’ont pas l’argent pour partir
et on ne veut pas finir dans des camps en attendant que quelqu’un vienne nous sauver.»
John et sa famille sont installés dans ce quartier du nord-est de Beyrouth depuis
sept mois. Un quartier chrétien qui accueille déjà la majorité des Syriens qui ont
fui les bombardements. Aujourd’hui, ils vivent dans cet appartement gratuitement jusqu'à
la fin du mois d'août. Pour la suite, John compte bien offrir un avenir à ses deux
enfants. D’autant que pour fuir, ils ont épuisé leurs économies. Pour eux, il est
impossible de travailler ici, le gouvernement ne permet pas aux Syriens de se faire
embaucher au Liban.
«Nous avons une opportunité de partir au Canada. Grâce à Dieu, mon frère vit déjà
là-bas. Maintenant, nous attendons l’appel de l’ambassade pour enfin partir. C’est
notre seule chance. J’étais ingénieur en électronique pour l’État, mais je suis prêt
à faire n’importe quel travail. Je veux surtout permettre à mes enfants de retourner
à l’école. Ils ont perdu trop d’années de scolarité. Ils adoraient l’école. Nous espérons
donc quitter le Liban pour le Canada pour être enfin en sécurité comme chrétien, je
l'espère.»
De l’espoir, John en a toujours. Dans leur petit appartement, une autre famille de
Syriens nous a rejoints. Un couple de quarantenaires avec leur fille. Ce sont leurs
anciens voisins à Damas. Comme eux, c’est un coup de fil d’ambassade qui mettra fin
à leur fuite de la Syrie et ouvrira une nouvelle page de leur vie, direction l’Australie.